mercredi 9 octobre 2013

Le rocker et le Mur

Un mardi de septembre à Friedrichshain. Sous la chape de grisaille ton sur ton qui a définitivement délogé le soleil de la voûte céleste, la capitale teutonne fait son deuil d’un bel été trop vite terminé. Il n’y a pas grand monde sur la Mühlenstraße, cette quatre-voies sans attrait qui longe la Spree entre l’Oberbaumbrücke et Ostbahnhof. Pourtant le secteur est habituellement prisé des touristes qui aiment à s’extasier en larges troupeaux devant les fresques très inégales de l’East Side Gallery. Et où sont donc les Berlinois ? N’ont-ils pas entendu qu’une manif se tiendra à 15 heures précises devant le chantier de la future tour Living Levels, énième métastase du cancer immobilier généralisé qui ronge la capitale ? Un mardi à 15 heures, et alors ? Se peut-il vraiment que Berlin travaille, parfois ? Ou les habitants, lassés de toutes ces manifs pour rien, se sont-ils finalement résignés ?

À l’heure convenue, il n’y a vraiment pas la foule des grands jours devant la brèche dans le Mur, l’ulcère béant de la spéculation, ouvert en mars à coups de tractopelle. À peine 200 personnes présentes, pour plus de 90.000 signataires de la pétition pour la sauvegarde de l’East Side Gallery. En se serrant un peu, on tiendrait tous dans les toilettes du Berghain tout proche. Tiens, c’est une idée, ça : organiser les prochaines manifs dans les discothèques... Là, au moins, il y aura du beau monde. Je la note et en ferai part au collectif pour la défense du Mur.

La foule clairsemée est dans l’expectative. Soudain, une berline noire aux lignes racées, aux vitres teintées, se présente devant le cordon de policiers, qui lui ouvre le passage. L’automobile se gare devant le chantier. Une portière s’ouvre. Les têtes se tournent, les cous se tendent. C’est bien lui ! La petite assemblée de manifestants se masse autour de Roger le rocker, smartphones à la main pour ne pas perdre une miette de la rencontre avec la star des Pink Floyd. Le musicien, septuagénaire moins deux jours, a la crinière argentée, la silhouette légèrement voûtée, mais son charisme reste intact. Il se laisse complaisamment photographier poing levé devant une fresque inspirée de l’album « The Wall ». Puis grimpe d’un pas agile sur l’estrade installée juste à côté.

Avant son grand concert du 4 septembre à Berlin, Roger Waters des Pink Floyd a pris le temps de soutenir le collectif pour la sauvegarde de l'East Side Gallery

Devant un parterre de smartphones et d’appareils photo, il improvise un bref discours de soutien sincère au patrimoine historique berlinois toujours plus menacé par la spéculation. «Dans la vie, il y a des choses plus importantes que le commerce». La foule, composée pour moitié de journalistes, et pour moitié de vrais manifestants, écoute, acquiesce, puis applaudit (mais seulement d’une main, car l’autre continue de filmer).



C’était ma quatrième manif pour la sauvegarde de l’East Side Gallery. Mais qui peut réellement croire à une autre issue que celle qui est écrite depuis que Wowereit, trahissant la confiance de ses administrés, a mis fin aux négociations et laissé les mains libres à l’investisseur ?

Au-dessus de nos têtes, la grue, indifférente aux propos idéalistes de Roger Waters, pivote gracieusement et élève de lourdes plaques de béton. Les ouvriers s’affairent. Le deuxième étage est déjà en train de sortir de terre. Rockstar ou pas, la construction de l’immeuble de luxe va bon train, et le reste n’est qu’aimable folklore.

À l'East Side Gallery, le 3 septembre

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