samedi 31 décembre 2011

Chronique martiniquaise (6) : Hors les murs

J’aurais bien voulu causer avec vous plus longuement, chers amis, mais vous savez ce que c’est, avec les vacances et tout ça, on n’a jamais le temps de se poser et de faires les choses bien comme on voudrait. Alors, histoire de vous faire patienter d’ici au prochain billet rédigé avec soin (car je sais que vous n’avez que ça comme souci un soir du 31 décembre...), après notre visite des marchés de Fort-de-France de ce début de semaine, voici en vrac quelques photos de scènes de rue typiquement martiniquaises, le genre d’images avec lesquelles j’ai grandi.

mardi 27 décembre 2011

Chronique Martiniquaise (5) : Jour de marché à Foyal

Née, selon l’état civil, un jour d’avril 1913, Mathusaline (*) est l’un de ces personnages qui, semble-t-il, ont toujours existé, tout simplement. Qui, de l’œuf ou de la poule, est arrivé en premier ?  Question idiote. Au commencement, il y avait Mathusaline, point. Depuis l’aube des temps (sans doute), coiffée de son grand chapeau de paille, elle arpente infatigablement la face du monde et surtout, y plante ses légumes avec la même industrieuse ténacité. Certaines personnes sont faites de cette trempe qui les rend complètement inusables, et Mathusaline appartient indéniablement à cette caste de quasi-immortels, au même titre qu’un Duncan MacLeod ou qu’un Gandalf le sorcier.

Mme Mathusaline, cultivatrice et doyenne du marché du Parc Floral


samedi 24 décembre 2011

Chronique Martiniquaise (4)

Nombreux sont celles et ceux, à Berlin, qui ont du mal avec l’idée que l’on puisse fêter Noël dans un pays chaud, où un franc soleil luit sans partage dans le ciel de décembre et se reflète de mille feux sur une mer étincelante, que l’on se prélasse à la plage et aille ensuite, la peau encore couverte de sel, festoyer à se rompre la panse en famille et entre amis. Détrompez-vous, les gens : l’on s’y fait très bien, et les empoisonneurs des marchés de Noël berlinois ne manquent à personne pour assurer l’ambiance, je vous assure. Nul besoin de gémir dans la froidure pour se joindre au troupeau de consommateurs décérébrés dans des magasins bondés à la féérie factice, nul obligation de combattre les engelures pour échanger des cadeaux, passer un bon moment et aller visiter l’église du quartier, toute décorée, dans la ferveur d’une messe de la Nativité qui dure trois plombes et nous porte le coup de grâce après la ripaille.

Sur la plage de l’Anse Mitan, un artiste en herbe dont la peau blanche virait déjà vers une teinte au rouge vif légèrement préoccupante, a consenti, magnanime, à me laisser photographier son œuvre bien de saison, afin que j’en fasse bénéficier toute l’humanité. Je n’ai pas réussi à déchiffrer le gribouillis du haut mais je suppose que c’est quelque chose de gentil. Entre nous, si j’avais eu un tube de biafine sous la main, je le lui aurait offert sur-le-champ, accomplissant une deuxième B.A. dans la foulée...

Joyeux Noël à toutes et à tous !

mercredi 21 décembre 2011

Chronique Martiniquaise (3)

Tous les chemins mènent à la plage de l’Anse Mitan, aux Trois-Îlets, que nous avons vue du ciel il y a quelques jours. On peut y aller par la route, bien sûr, mais le mieux est de s’y rendre par la voie maritime, en prenant la «pétrolette» à Fort-de-France, pour une courte traversée au grand air, surtout si on se tient à bonne distance de leurs antiques moteurs. 

D’habitude, le dernier bateau qui ramène les plagistes vers la grande ville quitte l’embarcadère de l’Anse Mitan à 17 h 50, dans un nuage de fumée de diesel. Et tant pis pour les retardataires ! Mais aujourd’hui, c’est la vedette rapide qui s’est fait attendre. Pour tuer le temps, j’ai photographié la mer, les nuages, les premières lumières du soir sur la ville, les dernières lueurs du jour dans le ciel, l’avion qui descend vers l’aéroport, les voiliers blancs, les loupiotes bleues, les bouées jaunes, les traces de pas encore mouillées, les maillots de bain déjà secs, les éclats de rire, les messes basses, les doux rêveurs debout, les bavardeurs assis, la montagne fière, les souvenirs d’une belle journée, la hâte de rentrer avant la nuit, l’attente.


mardi 20 décembre 2011

Chronique Martiniquaise (2) : VodaFAIL.de

Vodafone est mon seul ami. Il me suit partout, partoutpartout, jusqu’au bout du monde. Ce n’est pas la moindre des choses, et vous le savez bien, chers Vahineux et Vahinés, depuis tout ce temps : j’ai diablement la bougeotte. Pas un mois ne passe sans que clic clac ziiip je boucle ma valise et va-va-vroum je saute dans un taxi ou alors tchouk tchouk einsteigen bitte je cahote gaiement à bord du S-Bahn en direction de l’aéroport afin de uuuuuiiiiiiiiissssssshhhh-grrrrmm m’envoler vers des cieux fort lointains (c’est bien comme onomatopée pour un avion à réaction qui décolle, «uuuuuiiiiiiiiissssssshhhh-grrrmm» ?). Je vis à Berlin en pointillé, et dans les aéroports à plein temps. La semaine dernière, à l’instar du Canada, j’ai dû me retirer piteusement du protocole de Kyoto pour cause de flingage massif de mon bilan carbone. Les réfugiés climatiques : c’est largement de ma faute. La montée des océans ? Ne cherchez plus le coupable.

Unique bonne nouvelle dans ce fatras de tableaux des départs, de valises à roulettes et de réacteurs qui tournent à plein régime au sommet de la troposphère, c’est que quel que soit l’endroit où j’atterris après avoir brûlé quelques hectolitres de kérosène, et donc fatalement, fait fondre moult kilomètres carrés de banquise polaire, et par conséquent virtuellement occis de mes propres mains de gentils petits oursons blancs à la truffe noire et humide, je retrouve mon loyal ami Vodafone, fidèle au poste, qui m’accueille toujours sur le même ton jovial. «Willkommen!», me dit-il, soulageant ainsi quelque peu les tourments qui aiguillonnent ma conscience écolo.

lundi 19 décembre 2011

Chronique Martiniquaise (1) : Terre ! TERRE !!!


Il fut un temps où, quand on rentrait en Martinique, on savait y mettre les formes...

Quel long voyage, mes amis !

6h50 : départ de Berlin, aéroport de Tegel, alors qu’il fait encore nuit noire. 8 h 30 : arrivée à Paris au petit matin. Récupération des bagages à Roissy puis transfert vers Orly. 12 h 15 : enregistrement et embarquement à Orly. À la porte 31 du petit aéroport, la même porte où l’on embarque pour les vols Air France à destination la Martinique depuis l’époque des vols en ballon dirigeable je suppose, on se sent déjà un peu aux Antilles : les premières bribes de conversations en créole se font entendre, on aperçoit des traits et des visages typiquement antillais, on dit «bonsoir» en plein après-midi, selon la coutume martiniquaise. 14 h : c’est parti ! Le vol dure huit heures quand tout va bien, mais parfois plus.  On s’installe donc pour une longue traversée transocéanique. 

A ce stade, il reste encore 2 heures et 15 minutes de vol... Allez, un dernier film ?


jeudi 15 décembre 2011

Décembre : «Bancs publics»

Comme je vous le disais lors de ma toute première participation le mois dernier, le 15ème jour de chaque mois, à midi pile heure de Kinshasa, une communauté de blogueurs francophones publie une photo sur un thème donné. En ce bon mois de décembre, un thème on ne peut plus de circonstance (ou pas, mais cest le thème après tout) a été choisi par un membre du groupe : «Bancs publics».


Le "banc aux baisers" de Randers !
J’ai pris cette photo un soir d’été à Randers, une localité neurasthénique du nord du Danemark, un peu dans le même esprit que Västerås en Suède, que j’ai explorée pour vous l’an dernier (les deux villes sont même jumelées, c’est dire !). Si vous voulez briller en société et épater la galerie grâce à votre savoir encyclopédique, il y a trois-quatre choses que vous devriez ab-so-lu-ment savoir sur Randers. Vous me remercierez lorsque Anne-Mette, la collègue danoise du service Marketing qui vous fait fantasmer avec ses tresses blondes, ses pommettes saillantes (j’ai dit les pommettes hein) et son accent à la Eva Joly, éblouie par la puissance de votre intellect, vous invitera à passer prendre l’apéro à la maison... Oui, il est possible de conclure grâce à Randers, qu’on se le dise. Alors c’est parti, et prenez des notes :

1. Le nom danois de la ville se prononce en fait «Rannerss», le «d» étant en réalité purement décoratif. Ha, vous êtes bien bluffés ;

2. Il y fait encore grand jour à 22h30 en été, Scandinavie oblige (cf. photo), mais il n’y a pas âme qui vive dans les rues à une heure si avancée ;

3. Le site Wikipédia français consacre à Randers, sixième plus grande ville de tout le royaume du Danemark avec ses 56.000 habitants, un article très approfondi et extrêmement détaillé d’UNE ligne, soit deux phrases, ou encore vingt-huit mots en tout. Et illustré d’une seule photo avec pour toute légende «Rue de Randers». Priceless ;

4. Les bancs publics de Randers ont une fonction particulière : le kyssebænk est littéralement le «banc des baisers». D’ailleurs, il y en a d’autres dans la ville. Ainsi, imaginez que, hors d’haleine après avoir parcouru sur toute sa longueur la rue principale de Randers (qui mesure 158 mètres de bout en bout, croyez-moi sur parole) pendant une folle demi-heure journée de shopping dans les onze boutiques de la ville, vous voulez faire une pause et reprendre votre souffle un instant, alors vous feriez mieux de choisir votre banc avec la plus grande prudence. Si vous élisez de vous asseoir sur un kyssebænk, vous signalez implicitement à la populace que n’importe quel(le) passant(e) blond(e) à fort(e) poitrin(e) peut vous empoigner la tête et vous rouler une galoche sur-le-champ si tel est son bon plaisir. Il/elle n’est pas obligé(e) de vous kysser, mais si elle le fait, alors vous devez vous soumettre docilement à sa volonté. Il n’y a pas de «si», pas de «mais». C’est ça le principe du kyssebænk. Une bien jolie tradition 100% scandinave à mon humble avis, même si pour les touristes, c’est un peu surprenant la première fois. Ou peut-être est-ce moi qui ai seulement rêvé de cette scène ? Je ne suis plus sûr, sûr...

En conclusion de tout ceci, pour que vous soyez convaincus par les bons côtés de cette petite tradition spécifique à Randers vous aussi, et histoire de relever le niveau car vous lisez mine de rien blog vachement sérieux et intello, je vous mets une photo de Helle Thorning-Schmidt, l’actuel premier ministre social-démocrate du Danemark, élue en septembre 2011 et qui a soufflé ses 45 bougies hier («Tillykke med fødselsdagen! Hurra, hurra, hurra!»). Le premier qui dit «milf» n’est qu’un satyre priapique, un vulgaire Berlusconi lubrique à l’œil torve. Toutefois, reconnaissons, à la décharge du Cavaliere, qu’Helle a les yeux revolver, Helle a le regard qui tue, Helle a tiré la première...

L'Orealpolitik : Helle Thorning-Schmidt
Fin de la conclusion intello.

Envie d’un petit tour du monde des bancs publics ? Allez donc vous prélasser sur les photos de :

Le-Chroniqueur, Viviane, La Flaneuse, Frankonorsk, Manola, Hugo, Mérantaise, Surfanna, Aparça , L'azimutée, Céline in Paris, La Madame, Frédéric, Cherrybee, Vanilla, Carnets d'Images, Stephane08, La Godiche, Un jour-Montreal, Thib, Dorydee, Kyn, Shandara, Urbamedia, Karrijini, M, A&G, Mamysoren, Laurabreizh, Aurélie, Dr.CaSo, Onee-Chan, Boopalicious, Une niçoise, Clem et Chat, Titem, Le Mag à lire, Laure, Lhise, Belbe, Tam, Florian, Jen et dam, hibiscus, floflo, Alice, Guillaume, Isabelle, Cekoline, Ines meralda, Marion, Le Loutron Glouton, Anne, Noon, Anne Laure T, Doréus en Alberta, The Mouse, Stéphie & les Cacahuètes, Françoise Notfar, Bestofava, Ava, Gilsoub, Muni57, Fabienne, Sébastien, Nora, Alex, La Parigina, Ori, Filamots, Les voyages de Seth et Lise, Caro, Agnès, Niwatori, Céline, Alexanne, M'dameJo, Celiano, lesegarten, Xavier Mohr, magda627, Cathy Brocard, Jean WILMOTTE, Clara, Caroline, blogoth67, Cindy Chou, Lauriane, Lucile et Rod, Galinette, Olivier, Glose, Marie, 4 petits suisses dans un bol de riz, Emma, M.C.O, Claude, Nathalie, Meyilo, La Papote, Sephiraph, Rene paul henry, Cynthia, Sprout©h, LE BOA BLEU , Carole In England, Terhi, Sinuaisons, Nomade57, Doremi, Gizeh, Edegan, E, Calamity Scrap, François, Tambour Major, El, Aude, le via carmina, Maureen, La Fille de l'Air, Babou, Où trouver à Montréal? , Champagne, Mandy, Krn, florianL, 100driiine, et prenez garde aux baisers volés !

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mardi 13 décembre 2011

Der Vater Weihnachten ist eine Müll! (*)

Comme les masques tombent, amis lecteurs. Et avec eux, nos illusions de vivre dans un monde d’amour, de joie et de Bisounours où l’on chante à la ronde dans les prés, nus pieds sur l’herbe verte et des couronnes de fleurs dans les cheveux. Tout y passe. Il y a d’abord eu les Schtroumpfs. Ah les Schtroumpfs ! Nos attachants petits héros bleus ? Un gang de dangereux fanatiques totalitaires, fascistes, stalinistes et antisémites ! Rien que ça ma bonne dame. Puis ce fut au tour de la Panthère rose: l’attachant félin au flegme légendaire a été démasqué et s’est montré sous son vrai visage d’assassin complice d’un groupuscule néo-nazi ! Argh ! Il y a eu «Phoenix Jones». Vous n’en aviez peut-être jamais entendu parler, mais c’est le nom sous lequel était connu le véritable super-héros aux (presque) véritables supers pouvoirs qui sévissait faisait régner l’ordre dans la région de Seattle. Une sensation dans la région et déjà au-delà. Puis... bam ! Ayant pris trop à cœur sa mission de Don Quichotte, alors au faîte de sa gloire, il s’est attiré les foudres de la maréchaussée (la vraie) et a été arrêté comme un vulgaire malfrat, menotté et interdit d’exercer son hobby de justicier masqué. La pègre s’en frotte les mains.

Et quand on pensait que la série noire allait s’arrêter, voilà qu’une nouvelle affaire éclate au grand jour, ternissant la réputation d’une nouvelle icône de la bonté et du bien dans ce monde de brutes. Le coupable, cette fois-ci, n’est nul autre que le Père Noël : depuis la semaine dernière, un inconnu déguisé en Santa Claus rôde dans les marchés de Noël de la capitale et propose des verres de schnaps aux passants, invoquant comme motif de célébration la naissance de son enfant. Malheur aux naïfs qui se laissent prendre et boivent de cette liqueur : le breuvage qu’il leur sert contient un poison, peut-être la fameuse «drogue du violeur», provoquant chez les victimes des vomissements et parfois la perte de connaissance. Au moins huit jeunes hommes et femmes ont été hospitalisés à ce jour, et le malfaiteur court toujours. Cela dit, il aura bien plus de mal à refourguer son philtre d’amour désormais, car ses sinistres manigances sont maintenant connues de tous.

Émoi dans la ville
Où veux-je en venir avec tout ceci? C’est bien simple : Noël à Berlin, ça craint du boudin. L’an dernier et les années précédentes, il y avait de la neige à profusion, et nous nous blottissions les uns contre les autres dans les Weihnachtsmärkte, avides de féerie et assoiffés de Glühwein. En revanche, Noël 2011, c’est un programme nettement moins réjouissant : beaucoup de pluie,  un vent soutenu et des fous furieux qui s’attaquent aux jeunes filles sur les marchés.

C’en est trop. Je m’en vais comme un prince, la tête haute. Lorsque vous lirez ces lignes, je serai probablement dans l’avion qui m’emmène dans ma Heimat, au pays. On y fête Noël sans neige, sans marchés, sans vin chaud et sans Feuerzangenbowle, sans Lebkuchen et sans Plätzchen, mais avec beaucoup d’autres traditions qui remplacent avantageusement ce folklore germanique. Ou alors je serai en rade à l’aéroport de Berlin-Tegel, mes bagages éparpillés autour de moi, écœuré et me maudissant d’avoir choisi de prendre (et forcément, raté) le premier avion pour Paris, moi qui suis tout sauf matinal. 

Allez, espérons que non, et que je pourrai vous parler un peu de Martinique en étant sur place, pour changer. Je ne vous souhaite pas encore un joyeux Noël car je compte bien continuer à écrire pendant ce séjour antillais. Alors à très bientôt !

(*) Le titre de ce billet signifie, vous l’aurez compris, «Le Père Noël est une ordure», dans une traduction tellement littérale que je crois qu’elle ne veut rien dire en allemand. Le vrai titre du film en bon allemand, ce serait plutôt Da graust sich ja der Weihnachtsmann.

Marché de Noël, neige et fête foraine près d'Alexanderplatz, décembre 2010. C'était mieux avant !

lundi 12 décembre 2011

Conversation innocente entre collègues (reloaded)

Vendredi soir au restaurant sri-lankais :

«Non mais tu sais, Sabine, avec cette bague que tu portes, il y a moyen que les gens pensent que tu es mariée.
– Mais pas du tout ! Déjà, pour commencer, elle ne ressemble carrément pas à une alliance ! Et en plus, je la porte à la main droite. Faudrait vraiment être un boulet pour en conclure que je suis mariée !.
– Bah justement, tu n’as pas remarqué que les gens ici portent leur alliance à droite
– Non c’est vrai ? J’avais pas remarqué. En Belgique en tout cas, tout le monde la porte à la main gauche.
– Oui, en France aussi. C’est vraiment inhabituel de la porter à droite
– En Italie, pareil.
– Allez, arrêtez les gens. OK, normalement c’est à droite pour nous en Allemagne, mais tout de même il y a de plus en plus de gens qui portent leur alliance à gauche ici aussi.
– C’est vrai que Wolfgang la porte à la main gauche, mais j’ai toujours pensé que c’est parce qu’il est marié à une Chilienne, donc il a dû adopter la coutume de là-bas.
– Bah je ne connais pas ses raisons, donc je ne saurai pas t’en dire plus, mais en général les gens choisissent de porter leur alliance à la main gauche pour ainsi l’avoir “plus près du cœur”.
– Ooooh, que c’est romantique !
– Il me semblait avoir entendu ça aussi : en France on porte l’alliance à la main gauche car depuis l’époque romaine, une légende dit que l’annulaire gauche est relié directement au cœur par une veine, ou quelque chose comme ça...
– Mmmh, mouais, de nos jours, ça ne devrait pas être trop difficile à prouver, si cette fameuse veine existe ou pas, non ?
– Oui, c’est clair, mais entre-temps la tradition s’est installée, alors veine ou pas veine, on la porte à gauche et pis c’est tout...
– Mais je ne comprends pas : si on veut porter l’alliance au plus près du cœur et pousser le raisonnement à fond, pourquoi on ne la porte pas comme piercing au nez ? Le bout du nez est tout de même plus proche du cœur que l’annulaire gauche, non ?
– Eh, c’est pas faux du tout ce que tu dis là, Sabine. Mais en fait, le plus romantique serait de se faire un piercing au téton gauche et d’y porter son alliance : là elle serait vraiment slap bang dans le mille !
– Ha ! Ha ! Ha !
– Ho ! Ho ! Ho !
– Hu ! Hu ! Hu !
– Mais attends, ta proposition est marrante, mais foireuse, Jason-Isidore. Réfléchis 5 minutes : si on se mettait à porter les alliances au téton, comment les autres feraient-ils pour savoir si une femme est mariée ? Ça sert aussi à ça, de porter une alliance.
– Bah, rien de plus simple, franchement Britta : si une femme mariée est importunée par un type qui la drague, elle se découvre alors le téton pour montrer son alliance, et ainsi tout rentre dans l’ordre dans la seconde !»

J’adore ces conversations qui volent à des hauteurs stratosphériques. Merci les amis.

Pour plus de discussions hautement philosophiques de cet acabit en vous désaltérant de délicieux lassis de mangue ou de bière Cobra, ou en vous gavant d’«Appes» végétariens ou de succulents currys de mouton, une seule adresse : le meilleur sri-lankais de tout Friedrichshain est le restaurant «Sigiriya», Grünberger Straße 666. Ce sont mes amis indiens qui le disent, alors ça doit être vrai. La carte est variée, tout est délicieux, et comme au Sri Lanka, certains plats sont extrêmement relevés, mais ne vous inquiétez pas : les serveurs vous mettront gentiment en garde si vous choisissez par inadvertance un plat particulièrement corsé et s’ils estiment que vous ne ferez pas le poids, selon des critères d’appréciation hautement subjectifs. Je n’ai jamais droit à ce genre d’avertissements, car ma peau foncée laisse entendre que je supporte bien les épices. Après tout la science est formelle là-dessus : la capacité de résister au piment est liée à la quantité de mélanine dans l’épiderme, évidemment...

Les gens normaux et équilibrés amateurs de viande peuvent se faire plaisir sans états d’âme : toute la viande servie chez Sigiriya est d’origine bio certifiée par le fameux label «Neuland», qui garantit que la vache que vous mangez a été heureuse et bien traitée tout au long de son existence, et que le fermier l’a emmenée dans les meilleurs pâturages et lui a fait tout plein de câlins et de mamours juste avant de l’emmener à l’abattoir, et toussa toussa. Une très bonne adresse dans mon quartier, plus réputé pour ses fast-food que pour ses tables de cuisine du monde.

Je n'ai pas de photo du Sigiriya, et j'ai dû prendre l'unique photo existante sur internet, sur ce site "Vegan". Elle est toute nulle. Vivement que je prenne une meilleure photo pour remplacer cette horreur.

jeudi 8 décembre 2011

Il court, il court le tag

Elsa du Gâteau sous la cerise a eu la bonne idée de me décerner un «Kreativ Blogger Award». Ça fait déjà un moment qu’elle m’a fait ce gentil cadeau empoisonné mais, n’étant pas encore au fait de ces petites traditions de la blogosphère, je n’avais pas du tout pigé le truc, et j’ai donc fait le mort mis du temps à réagir en conséquence... Merci pour ta patience Elsa !



Oh la charmante attention que voilà. Néanmoins, comme toute distinction se mérite, il y a donc un prix à payer. En tant qu’heureux lauréat, je dois me conformer à un cahier des charges des plus précis.

1. Remercier la personne qui m’a tagué : MERCI ELSA ! Tu ne perds rien pour attendre, tu vas voir...

2. Mettre le logo de l’award sur mon blog : le re-voilà, si vous l’aviez loupé juste au-dessus. Il est tout rose et girly, donc trop cool. Les Chroniques Berliniquaises, bientôt sur HelloCotton ? Pas tout de suite quand même, hein... Sinon j’aime bien le «Kreativ» avec un K, qui, comme celui de Köpenick, fait nettement plus germanique.


3. Mettre un lien vers le blog du coupable de l’auteur du tag. Voilà : en fait c’est Elsa qui m’a tagué. Son blog s’intitule «Le Gâteau sous la cerise», bien que le lien soit avecunaccent.canalblog.com, car la vie est ainsi faite. Au fait je ne sais pas pourquoi c’est le cas. Une réponse, Elsa?

4. Dévoiler 7 choses sur moi : je suppose que le jeu est bien plus marrant si ce sont 7 choses que je n’ai pas encore révélées dans le blog. Attention, ça va envoyer du gros lourd. C’est parti pour le grand déballage. Envoyez le générique de Confessions Intimes.
i. Juste avant ma naissance, ma mère m’a fait l’un des plus beaux cadeaux qui soient, en rentrant en Martinique exprès pour que je vienne au monde au pays de nos racines plutôt que dans la contrée étrangère où vivaient mes parents à l’époque. Et accessoirement, pour se rapprocher de la familia, mais bon ça ne compte pas. Je ne lui serai jamais assez reconnaissant de m’avoir ainsi permis d’avoir «né à Fort-de-France (972)» indiqué sur tous mes papiers d’identité, qui m’accompagneront tout au long de ma vie, et de m’avoir accordé le privilège de compléter chaque formulaire avec la mention «Geboren in Martinique (Frankreich)». Quelle délectation. Rien que pour ça je kiffe d’avoir de la paperasse administrative à remplir, et je pense toujours avec émotion à la bonne intuition de ma môman. D’où l’importance fondamentale de ne pas se rater sur son lieu de naissance pour bien démarrer dans la vie. 
ii. En Martinique, certaines personnes (une infime minorité, mais ça existe) pratiquent dans les forêts reculées une forme de sorcellerie traditionnelle afro-caribéenne qu’on appelle «quimbois», un peu comme le vaudou haïtien. Un jour, alors que je randonnais avec trois amis sur les flancs du volcan, nous nous écartâmes quelque peu du chemin pour profiter du panorama, mais aperçûmes et dérangeâmes, dans une clairière proche, une congrégation de séanciers et quimboiseurs en pleine cérémonie de sacrifices de poulets, de mutilations et plein de joyeusetés pas jolies à voir. Furieux et hostiles, ils firent mine de venir nous choper. Nous prîmes nos jambes à notre cou et nous enfuîmes à toute vitesse, sans demander notre reste.
iii. Je préfèrerais de très loin nager dans la rade d’Oslo, et d’ailleurs je l’ai déjà fait deux fois, plutôt que dans le port de Fort-de-France (d’ailleurs je ne l’ai jamais fait et ce n’est pas à l’ordre du jour, oh que non). 
iv. Une fois, alors qu’une journée on ne peut plus normale touchait à sa fin, j’ai été pris en otage par un bandit manchot armé d’un truc ressemblant à s’y méprendre à un revolver, dans un magasin de téléphones mobiles à Paris, juste à l’heure de la fermeture. Il y avait le bandit, un vendeur, et moi. Ce face-à-face-à-face infernal a duré une «petite» heure, donc ce n’était pas un fait divers absolument exceptionnel, mais en ressenti, c’était plutôt une grosse demi-journée d’angoisse effroyable à la merci d’un type masqué, agressif et manifestement déséquilibré. Vachement flippant. J’ai vraiment cru que c’était la fin des haricots pour mes carottes cuites. Le souvenir de cet incident a perturbé mes nuits pendant plusieurs mois.
Un de mes romans cultes
v. Tiens, à propos de nuits, quand j’étais un tout pitit pitit garçon, pour trouver le sommeil lors des chaudes nuits antillaises, au lieu de compter les moutons, je calculais dans ma pitite tête les puissances successives de 2, comme dans 21 = 2, 2² = 4, 2³ = 8, 24 = 16, etc. Du coup, je connais par cœur, encore à ce jour, les puissances de 2 jusqu’à 216 = 65.536. Tout allait bien jusqu’au jour où j’ai été horrifié par ce passage de The Curious Incident of the Dog in the Night-Time, un très bon roman de l’auteur britannique Mark Haddon, où le héros, un ado autiste surdoué, raconte qu’il fait la même chose pour se calmer lorsqu’il est très nerveux, car cette petite gymnastique cérébrale l’apaise. Le bad. La bonne nouvelle c’est que pendant ma prise d’otage ou mes autres moments de méga-flippe (comme par exemple après avoir affronté la circulation dans les rues de Beyrouth), à aucun moment il ne m’est venu à l’idée de faire du calcul mental pour me calmer. Donc tout va bien, je suis cooooomplètement normal. 
vi. L’autre jour, à la Sankt-Hedwig Kathedrale de Berlin, la vierge Marie m’a parlé. Dans un français irréprochable, du reste. J’en suis absolument convaincu, et rien de ce que vous pouvez en dire ne me fera changer d’avis. Ça n’a pas fait de moi une Bernadette Soubirous des temps modernes ni un intégriste prosélyte, mais ça a fait énormément de bien, à moi ainsi qu’à certaines personnes de mon entourage. Je m’en tape complètement si vous me croyez cinglé ; ain’t got nothing to prove.
vii. Such a weirdo’s life. Malheureusement, je suis aussi un gros mytho, un fieffé menteur, un fabulateur de première. Du coup, une des affirmations de cette liste est inventée de toutes pièces. Vous pouvez essayer de deviner laquelle, mais je ne vous promets pas que je vous donnerai la solution. On sait jamais, il y a peut-être un(e) psy parmi vous... Et quand bien même je vous le promettrais, rien ne dit que je tiendrai parole, puisque je mens comme un arracheur de dents.
5. Et pour finir, je dois nommer 7 blogs que j’aime, et qui du coup se retrouvent perfidement tagués de la même façon (sorry guys). Tiens v’là aut’ chose. Vont-ils relever le défi ? Vont-ils seulement s’apercevoir qu’ils sont tagués ? Allez je me lance, on verra ce que ça donnera. Alors, à qui vais-je refiler la patate chaude, mmh ??
a/ Alain, l’auteur de Montpellier Croix d’Argent, pour ses commentaires rigolos dans ces pages céans et pour ses magnifiques photos ensoleillées du midi et de la Grande Bleue, qui nous changent bien de la grisaille du nord de l’Allemagne. Tiens, attends voir que je sois rentré en Martinique, toi.
b/ Manon de Génération Berlin, pour ses aventures désopilante de Franco-berlinoise hype de Kreuzkölln.
c/ Loïc des Carnets de Seattle, pour son courageux combat contre la maladie, les réflexions qu’il m’inspire, et son regard toujours drôle et pertinent sur son quotidien aux States, pardon, aux États, et la vie et tout ça.
d/ La Miss Pauline, pour ses lectures, ses réflexions sur la vie à Berlin et pour sa relation malsaine avec Til Schweiger.
e/ Caroline, pour tout plein de raisons et parce que j’aimerais bien qu’elle raconte 7 trucs sur elle à la communauté.
f/ E., auteur des Histoires Deux..., parce que c’est cool d’avoir une lectrice au Qatar, parce qu’elle raconte des choses intelligentes et amusantes aussi (apparemment ce n’est pas la matière qui manque quand on vit là-bas), et parce qu’elle a déjà répondu à un tag donc a priori elle n’est pas allergique au principe... Désolé !
g/ Nat, parce qu’une fille qui aime Berlin, la Bière et le Rock ’n Roll aura forcément des trucs rigolos à nous raconter, surtout au retour d’un long voyage aux Antipodes.
g bis/ JvH, la maman en série de Viaggiodinozze et accessoirement ma voisine de Kiez, allez... accouche ! Ouuuuuh la bonne blague toute pourrite !
Ceux et celles qui ont envie de jouer, feel free. Voilà, j’ai répondu... finalement c’était plus rigolo que ce que je craignais comme jeu. À vos claviers.

mardi 6 décembre 2011

Berlina Vista Social Club

Votre mission, si vous lacceptez, sera de passer votre samedi, de 10h45 à 16h45, soit la quasi-totalité des heures de jour, au marché de Noël de Spandau pour les bonnes œuvres.

15h45 : la nuit (et la pluie) tombe déjà au marché de Noël de Spandau
Chers amis (depuis le temps que nous nous connaissons, permettez-moi cette familiarité), saviez-vous que votre dévoué chroniqueur n’est pas qu’un simple noctambule qui hiberne le jour et hante les dancefloors la nuit tel un vampire mélomane assoiffé de basses et de naïves oies blanches, mais est aussi un type formidable et chevaleresque qui a un cœur gros comme ça ? Inutile de m’envoyer des compliments par brassées, vous me feriez rougir, tout noir que je suis. Et puis vous pouvez réserver vos éloges pour le jour où je recevrai le prix Nobel de la Paix, ou de Littérature, ou les deux. Faites place, Aung Sans-Souci, Nelson Mandale, et autres, euh, Barack Obama (?), j’arrive ! Écartez-vous, Sergent García Márquez, José Tagomago, Günter Supergrass, je débarque en trombe parmi vous ! Comment-ça le blogging n’est pas un genre littéraire reconnu ? Ils vont se mettre à la page, oui, ces vieux croutons décatis de l’académie suédoise ?

Bref, il fut un temps, désormais fort lointain, où à l’occasion du Téléthon je donnais de ma jeune personne sans compter les heures ni les kilomètres ni les degrés en-dessous de zéro, je m’épuisais nuit et jour, défiais l’hypothermie avec mes amis animés du feu sacré, et, une fois achevés nos défis sportifs, transis, affamés, amaigris, nous bombions le torse et remettions, fiers comme Artaban, un fabuleux chèque 918,04 francs à l’Association contre les myopathies. La Dame de l’AFM, attendrie et compatissante, nous pinçait affectueusement la joue, nous tapotait gentiment l’épaule, nous complimentait chaleureusement pour nos efforts surhumains. Et tout ça en apnée, car la joyeuse troupe de sportifs au grand cœur ne sentait pas la rose printanière au moment de la remise du butin, après trente heures de suées, pensez donc. Ah, les émouvants souvenirs que voilà.

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Entre-temps, j’ai mis une frontière et un bon millier de kilomètres entre la grognasse Madame de l’AFM et moi, et d’autres jeunes et moins jeunes sportifs zélés ont repris le flambeau des exploits annuels pour la bonne cause. Mes prouesses sportives ont pris un tour nettement moins altruiste, et côté social, je me contentais vraiment du strict minimum, c’est à dire rien du tout. Jusqu’au jour où j’ai découvert qu’il y avait, ici même, en Allemagne, des pauvres.

Non, pas des pauvres du genre qui doivent laver eux-mêmes leur Mercedes ou qui, pis encore, sont réduits à rouler en Boxster, la fameuse «Porsche du pauvre» de sinistre réputation, mais des milliers de vrais nécessiteux en grande détresse, qui au quotidien tirent véritablement le diable par la queue. Le slogan «pauvre mais sexy» qui, on le saura, fait depuis des lustres la fierté de la capitale de la coolitude, comme une strip-teaseuse s’enorgueillirait se trémousser en string jauni et rapiécé (et le pire c’est que ça doit sûrement exister, mmmh), n’est pas tombé de la lune. Parallèlement à cela, dans ce monde de fous dans lequel nous vivons, de 6 à 20 millions de tonnes de denrées alimentaires tout à fait saines et comestibles finissent à la poubelle, chaque année, rien qu’en Allemagne. J’en conviens qu’en Germanie, la notion de denrée alimentaire «saine» et «comestible» n’est pas la même que chez nous, mais là n’est pas le propos... 

De fil en aiguille, de hasard en coïncidence, j’ai frappé tout récemment, avec Janne, ma complice de tous les mauvais coups, à la porte de la «Berliner Tafel» («La Table de Berlin»), une sorte de banque alimentaire teutonne, afin de pimper la scène bénévole locale. Pimper, comme dans «Pimp my ride», aber natürlich, alors allons-y donc et pimpons gaiement. Pour éviter d’alourdir la phrase précédente, je n’ai pas précisé que chaque mois, juste dans la Bundeshauptstadt, la Berliner Tafel vient en aide à plus de cent mille résidents en grande difficulté, et «sauve» un demi-millier de tonnes d’aliments qui en Allemagne passent pour «sains et comestibles» (alors qu’en France on les jetterait direct à la décharge et on aurait mille fois raison de le faire, nan mais c’est vrai quoi à la fin, ras-le-bol de cette bouffe dégueu jour après jour). Bien entendu, les denrées saines et comestibles en question (OK j’arrête) sont collectées avant d’avoir atterri dans la benne à ordures, hein, rien à voir avec le mouvement «déchétarien», n’est-ce pas, alors n’allez pas vous imaginer quelque fantaisie de cet acabit. Voilà c’est dit, vous savez de quoi il en retourne. Des mecs dévoués et intelligents qui aident les nécessiteux tout en réduisant le gaspillage insensé que produit notre société malade, faisant ainsi d’une bière deux goûts, zelon un ticton deudon pien gonnu, ach so. Notre première mission, en forme de bizutage : animer un stand d’information de la «Tafel» au marché de Noël de Spandau pendant toute une journée, donc.

Spandau, c’est encore Berlin, mais ce n’est pas la porte d’à côté, oooh que non. Le district le plus occidental de la capitale, banlieue résidentielle assoupie, est à 20 km à l’ouest de notre Kiez de Friedrichshain, soit plus que la distance qui sépare le centre de Paris du cœur de Versailles (si tant est que Versailles ait un cœur, mais c’est un tout autre débat), et non, je ne vous pipote point, ce n’est pas le genre de la maison voyons. Au passage, quand on pense que la S-Bahn met 40 minutes pour parcourir lesdits 20 km, on se demande comment diable on ose l’appeler S-Bahn, avec un S qui veut dire, vous l’aurez deviné, schnell. Mais passons. En plus de ce considérable éloignement, disais-je, Spandau est encore plus pauvre mais moins sexy que la moyenne berlinoise (je préfère ne pas imaginer quel genre de strip-teaseuse ça donnerait, ou alors si, en fait j’imagine très bien mais je garde ça pour moi, rrrrr...), ce qui fait que c’est vraiment le genre de quartier où l’on ne s’aventure pas sans raison, à moins d’être un(e) explorateur/trice dans l’âme et d’avoir du temps, beaucoup (trop ?) de temps à perdre. C’était donc notre premier voyage outre-Havel.

Samedi, 10h30. Le train grince et se tortille lentement à travers des paysages inconnus. On a passé le Stade Olympique, puis franchi le Rubicon la Havel. Les gares portent des noms peu familiers, comme Stresow ou Pichelsberg. Mais Janne et moi avons d’autres préoccupations que cet environnement nouveau. Au stade ultime de la procrastination, nous déchiffrons et commentons fébrilement nos 4 pages d’instructions : arriver 10 minutes à l’avance, aller chercher les clés du stand et la caisse de petite monnaie chez Herr Untel à la Jüdenstraße (non mais franchement...), ouvrir le cabanon et organiser le présentoir, et bien sûr accomplir les tâches détaillées dans la liste de consignes tout en respectant un certain nombre de règles de bon fonctionnement. «Zut alors ça veut dire quoi ce mot, “zugunsten”, tu sais toi ? – Nan, aucune idée. – Bon tant pis, on cherchera tout à l’heure sur internet si on en a vraiment besoin». Ça n’a pas l’air sorcier de s’en sortir, mais nous nous étonnons malgré tout d’être ainsi livrés à nous mêmes, deux petits nouveaux même pas germanophones, face à l’inconnu. À ce moment précis, une femme que nous n’avions pas remarquée s’adresse à nous dans un allemand aux fortes intonations américaines.

La mairie du district de Spandau, "embellie" d'une
très jolie tour carrée tout en béton
«Hallo, vous êtes de la Berliner “Taffle” ? Vous allez au “Spandower Weihnacktsmarket” ? [marché de Noël de Spandau, en allemand américanisé, NDLR]
– Oui !
– Ah, super, moi aussi. Je comprends un peu le français et je vous ai entendu dire “Morgenschickt” [en fait, “équipe du matin” se dit “Morgenschicht”, sauf quand on a un fort accent ricain] à deux reprises, alors j’ai supposé que vous êtes les deux Français que je devais rejoindre au marché de Noël ce matin. Étonnant que nous nous retrouvions par hasard dans le même wagon du même train. Au fait, je m’appelle Deborah.
– Janne, enchantée.
– Jason-Isidore, ravi.
– Justement avec Isid’ on était en train de se demander si on allait être juste tous les deux ou si quelqu’un de la maison allait passer la journée avec nous. On est nouveau alors ça fait bizarre d’être lâché comme ça dans la nature.
– Ah, vraiment, vous êtes nouveaux à la Taffle ? Comme c’est drôle, moi aussi !»

Une Américaine, une Hollandaise, un Martiniquais, 100% de bleusaille, 0% de germanophones : voici donc l’équipe gagnante à qui est confiée la lourde responsabilité de gérer le stand de la Berliner Tafel pendant six longues heures où tout peut arriver. J’adore ce genre d’entrée en matière. Faut pas avoir peur des défis dans la vie.

Terminus Spandau : tout le monde descend. En fait il ne restait plus que nous dans le train de toute façon, puisque personne ne va jamais à Spandau de son plein gré. Nous nous répartissons les tâches : Deborah va chez Herr Untermensch pour récupérer les clés et la caisse, Janne et moi achetons un petit-déjeuner sur le pouce. Nous nous retrouvons ensuite à la cabane, l’ouvrons et le sécurisons avec l’aide d’un joueur de flûte de Pan mobilisé pour l’occasion, allumons le chauffage au gaz, organisons le stand, et nous voilà fin prêts ! Watch out, Spandau, l’équipe de choc de la Tafel est au taquet.


«Schönen guten Tag, wir sind die Berliner Tafel. Eine kleine Spende?
– [Énorme vent : la cible ne réagit pas et passe son chemin].
Einen schönen Samstag!
– [Réponse marmonnée machinalement entre les dents, sans même changer de cap] Danke, ebenfalls.»

C’est fascinant à quel point on se reconnaît dans l’attitude de ces passants qui ne veulent surtout pas être sollicités. J’ai été si souvent à leur place. Combien de stratagèmes ai-je utilisés pour ne pas croiser le regard de ces importuns en ciré rouge ou en t-shirt vert, ou alors m’en débarrasser au plus vite ? Je ne compte plus le nombre de fois où je n
’ai pas hésité à changer de trottoir, à faire un énorme détour, ou à sortir mon téléphone et faire semblant d’être en communication, afin de ne pas être dérangé par ces enquiquineurs. Non je ne veux pas devenir adhérent. Tiens à propos d’adhésion, t’es un sacré pot de colle, ducon, allez casse-toi. Non, je n’ai pas de monnaie. Non, isch spresche keïne Doïtsche, en’schüldigund. Non, je n’ai vraiment pas une minute là. Non, je ne veux pas donner. Non, je ne veux pas sauver les pauvres / les jeunes des quartiers / les femmes battues / la forêt amazonienne / les p’tits n’enfants d’Afrique avec plein de mouches sur la figure / les baleines / les pandas / les hyènes albinos à trois pattes / les malades des écrouelles / les veuves et les orphelins / les sinistrés de tel ou tel désastre à 10.000 km / Willy / le soldat Ryan / le monde. Non. Vous m’entendez ? C’est non. Non ! NOOOOOON !!!

Partant de là, il est très facile de comprendre la réticence des visiteurs du marché de Noël, et donc de ne pas se décourager à cause du nombre de refus. En fait, cette opération est à vivre plus comme un défi qu’autre chose. Nous le relevons avec fraîcheur et espièglerie, dans la bonne humeur qui sied à notre relative «jeunesse» au milieu de cet océan de retraités teutons. En plus, une pointe d’accent français, hollandais ou américain, c’est loin d’être un handicap pour s’attirer la sympathie du public, du moins sa curiosité. Si nous avions été turcs, il aurait fallu trouver autre chose, sans nul doute... Et malgré le fort taux de refus, rien que l’expérience d’observation sociale en vaut le détour. Nous voulions «rencontrer des gens», et nous avons été servis.



Avouez qu'ils sont complètement irrésistibles
«Bonjour Madame. Vous voulez faire un petit don à la Berliner Tafel ?
– Ah, bonjour jeune homme, me répond une voix chevrotante. Où avez-vous trouvé ces petits rennes décoratifs ? Ils sont superbes. C’est exactement ce que je cherche depuis des semaines, mais il n’y en a plus chez Lidl ni nulle part ailleurs.
– Euuuuuuuhhh... baah... je sais paaas... euuh.
– Vous ne voulez pas me le vendre ? Vous en avez trois, j’en veux juste un. Ils sont tellement mignons.
– Baahh, non désolé, ils ne sont pas à vendre... euuuh, vous savez, ça peut avoir été prêté par un membre, j’en sais trop rien, moi.
– Mais si, allez quoi, soyez gentil et faites donc plaisir à une vieille dame.
– Je voudrais bien, mais je suis tout nouveau. Je peux pas prendre ce risque. Je ne sais pas si on peut donner ou vendre la déco.
– C’est bien dommage. Au revoir.
Schönen Samstag!»



En fait quand on y pense, c’est tout à fait normal de se souhaiter un «bon samedi» en Allemagne.

«Schönen guten Tag, eine kleine Spende für die Berliner Tafel?
– Ah, des jeunes qui s’engagent. C’est super ce que vous faites.
– Alors vous voulez bien nous soutenir ?
– Je suis moi-même bénéficiaire. Bon courage les jeunes.
– Merci, bon samedi après-midi !»

Il fait un froid humide et venteux, du genre qui s’infiltre sous nos vêtements : le pire qui soit. Des averses s’abattent sur le marché. Génial. On imagine l’horreur que ça doit être pour les forains qui passent trois, quatre, cinq semaines sur les marchés de Noël, chaque jour. Mais au moins les visiteurs du marché ne cherchent pas à les éviter à tout prix. Les passants pressent le pas, se courbent pour faire face à la bourrasque. Ceux qui croisent malencontreusement notre regard ajustent vite fait leur chapeau sur leur front ou se cachent rapidement derrière leur parapluie, providentiel bouclier multi-usages. Les seuls qui s’en moquent, ce sont les enfants, tant qu’ils reçoivent des cadeaux.

Avec l’arrivée de la pluie et du vent, les choses se calment. On a faim. Il est temps d’aller s’acheter une bonne Bratwurst grillée. On y va à tour de rôle, un par un.

«Bonjour Madame, comme vous voyez, nous représentons la Berliner Tafel. Vous pouvez faire un don si vous voulez.
– Je suis membre moi-même, je passais pas ici et je voulais voir si tout allait bien.
– Ça peut aller, comme vous pouvez voir.
– Mais... vous savez n’avez pas le droit de manger dans la cabane, jeune homme ? Avez-vous bien lu le règlement ?
– Mais, euh, vous comprenez, il fait froid et il pleut des trombes d’eau dehors, et pis, et pis...
– Bon, on va dire que ça va pour cette fois, exceptionnellement. Sinon, vous avez besoin d’un coup de main ?
– Non, ça va, on s’en sort comme on peut. En plus il n’y a pas foule en ce moment. Pardon, un instant [à une autre dame] Bonjour, vous voulez faire un don à la Tafel ?
– Non, je veux un petit renne. Vous n’avez pas changé d’avis ?
– Bah honnêtement je ne peux vraiment pas prendre ce genre de décision.
– Alleeeeeez !
– Désolé Madame... bonne fin-de-samedi-après-midi.
[L’autre vieille donneuse de leçons ne compte pas nous lâcher les baskets] Et vous comprenez, moi l’an dernier j’avais rapporté des supports pour mieux mettre en évidence les cartes de vœux que nous vendons, c’était beaucoup plus joli sur le présentoir, et bla-bla-bla, et ma fille qui devait peut-être venir avec son mari cet après-midi, et patati et patata, et j’ai deux itinéraires possibles pour rentrer à Schöneberg, soit avec la Ringbahn mais ça me fait un changement soit je prends le bus et c’est direct, et tout ce que je raconte est passionnant n’est-ce pas les jeunes, et ainsi de suite, ainsi de suite.»

L'unique source de chaleur de la journée...
Notre petite hutte en bois où on se gèle a beau ressembler à un théâtre de marionnettes, ce sont nous les occupants qui nous trouvons en position privilégiée pour observer la comédie humaine dans toute sa splendeur. Et quel spectacle. Des radins et des généreux. Des taiseux et des radoteurs qui nous tiennent la jambe à n’en plus finir. Des familles immigrées et des retraités allemands. Des malotrus grognons et de chics types. Des gens qui viennent juste demander leur chemin et filent sans demander leur reste. Des alcoolos, des gens à côté de la plaque. Des personnes qui s’arrêtent à bonne distance, préparent leurs pièces ou leur billet, viennent déposer leur don en vitesse et s’en vont aussi vite. Je hèle sans vergogne tous les Africains que je vois passer, espérant faire jouer une hypothétique «solidarité noire». Les ficelles sont peut-être un peu grosses. Quoi qu’il en soit, mon taux de réussite avec eux stagne autour de 0%. De temps à autre, Janne et Deborah partent en commando dans les allées du marché pour récolter plus de dons, et ça marche. Mais par ce sale temps, elles ne tiennent jamais bien longtemps, et nous nous retrouvons vite tous les trois dans le cabanon.

«Donnez-moi un renne, je vous dis !
– Mais non enfin !
– Juste un renne. Je veux un renne. Donnez moi un renne !! Myyyyy Precioussssssssss!
– Mais allez vous-en ! Laissez-nous tranquilles ! You shall not pass! (comme dirait l’autre)»

16h30. Il fait déjà nuit noire, et nous en avons un peu ras-le-bol. L’engagement social, la comédie humaine, mine de rien, c’est comme la musique techno : c’est sympatoche entre amis, mais au bout de six heures, on en a vraiment plein le dos.

«Schönen guten Tag, eine kleine Spende für die Berliner Tafel?
– C’est bon, calmez-vous, on est là pour prendre la relève.
– Non ? Sérieux ? Enfin ! Alléluia !»

C’est l’heure de la délivrance. Nos remplaçants (deux Allemands bon teint ceux-là) sont des bénévoles confirmés. Ils expédient les procédures que nous avions oubliées de suivre : quelques papiers à remplir ici et là, deux-trois vérifications à faire... Mais tout compte fait, on dirait que nous avons assuré notre permanence sans faire de grosse bêtise. Ils nous rassurent sur notre maigre bilan : c’est normal de n’avoir vendu aucune carte de vœu ni aucun bouquin. Tout va bien. Nous n’avons pas coulé ni décrédibilisé la Tafel, ni mis le feu à la baraque, donc pour une première, c’est plutôt réussi. Transis de froid, épuisés, mais soulagés, nous quittons notre cabanon rustique mais attachant (enfin, presque).

Un dernier petit tour dans les allées du Spandauer Weihnachtsmarkt. Soit dit en passant, c’est un très joli marché de Noël qui saura récompenser ceux qui se seront aventurés de l’autre côté de la Havel. Enfin, nous sautons dans le train, ravis de la perspective d’une bonne sieste au chaud à la maison, avant une énorme soirée de teuf pour nous récompenser de nos efforts.

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dimanche 4 décembre 2011

Récidive aggravée

Il y a quelques mois, alors que le cataclysme médiatique désigné par le pudique euphémisme d’«affaire DSK» venait tout juste de commencer, à l’époque où nous autres humbles mortels ordinaires apprîmes, abasourdis et écœurés, que le demi-dieu dont nous voulions faire notre prochain président avait un irrépressible penchant pour le troussage de soubrettes (ces petites garces insatiables) et d’autres faiblesses plus ou moins inavouables, j’avais trouvé un parallèle frappant avec ladite affaire et une campagne de pub pour les gels douche Axe, qui n’avait pas vraiment fait mouche auprès du public berlinois à qui elle s’adressait, malgré son approche innovante et décoiffante de la communication publicitaire : en effet, personne jusqu’ici ou presque n’avait songé à placarder des images photoshoppées de jeunes femmes presque nues par monts et par v[e]aux dans toute la ville pour vendre un quelconque produit. Un tel avant-gardisme avait été reçu plutôt négativement par la populace petite-bourgeoise et éminemment conservatrice.

Eh bien, à peine six mois plus tard, alors que l’Allemagne célèbre l’Avent et se prépare avec ferveur à l’arrivée de Noël, voici que les délinquants récidivent. Hier soir, sur la Petersburger Straße à Friedrichshain, j’ai vu ceci :

Axe Excite a le plaisir de vous annoncer la sortie mondiale de son "calendrier de l'Avent" porno chic (ou pas)

Axe repasse à l’offensive, avec en organisant dans les rues de la capitale un lâcher de blondasses lubriques qui se massent lascivement le périnée à l’aide de paquets cadeaux au contenu mystérieux, qui ne peut être qu’un sex-toy, aucun doute n’est possible là-dessus. Ledit sex-tox est montré dans son emballage cadeau, histoire que nous ne perdions pas de vue que c’est une campagne de pub de Noël, cette grande fête de l’érotisme et de la vulgarité pendant laquelle il est habituel d’offrir à ses amis des flacons de déodorant ou de gel douche.

Pour l’instant, le public berlinois ne semble pas encore avoir manifesté sa désapprobation avec la même force qu’au printemps dernier. S’il devait le faire, je vous «garderai posté» sans faillir, comme disent les Anglo-américains.

Je trouve ça fou que certains publicitaires se contentent de nous bombarder, campagne après campagne, de mêmes images de femmes lascives en petite tenue pour faire passer un «message» auquel personne ne croit. Pourtant, il est possible de vendre des déodorants Axe sans se complaire en permanence la médiocrité sexiste et dénuée de toute créativité. Il y a deux ans, à l’aéroport de Copenhague, j’ai photographié une affiche publicitaire pour un déodorant Axe, parce que j’avais trouvé l’affiche drôle et le message plutôt subtilement suggéré, même si la photo n’est pas d’une qualité esthétique à couper le souffle :



Malgré les reflets, on aperçoit un grand dadais blond (appelons-le Lars), le visage peint aux couleurs danoises. Hébété, les yeux écarquillés et inexpressifs, Lars semble encore secoué par l’aventure qui vient de lui arriver : de toute évidence, une Suédoise enragée l’a fougueusement embrassé et a irrémédiablement gâché son beau maquillage de supporter. Nous ne pouvons que compatir avec cette nouvelle victime du fameux «Axe Effect». Les publicitaires danois ont choisi l’humour plutôt que la vulgarité, la subtilité plutôt que la surenchère de peau dénudée. 

Un jour, peut-être, les pubs allemandes se rapprocheront de ce niveau. En attendant, il va falloir que j’apprenne à éviter du regard les panneaux publicitaires, cela vaudrait mieux.

vendredi 2 décembre 2011

Guitares mexicaines endiablées à Berlin

Il est jeune, mexicain, pas très grand de taille, rigolo, un peu fanfaron sur les bords, et a vraiment une patate d’enfer. À qui pensez-vous ? Si vous avez répondu «Speedy Gonzalez», vous êtes priés de vous fracasser séance tenante une bouteille de tequila sur la tête en guise de punition. Allez-y, je vous donne 5 minutes.

C’est bon, vous y êtes ? Bien, alors reprenons.

Lundi soir, le duo de guitaristes mexicains Rodrigo y Gabriela sest produit pour un concert époustouflant au Postbahnhof am Ostbahnhof, une salle de concert de taille moyenne et à la programmation de qualité qui partage ses locaux avec la discothèque Fritz, à quelques encablures du Berghain et des défunts Maria am Ostbahnhof et Bar 25. J’avais enfin émergé de mon petit traumatisme post-Thanksgiving et ai eu la chance de découvrir ces musiciens à l’énergie débordante à l’occasion de l’un de leurs trop rares passages à Berlin. En plus, mon appareil photo était en pleine forme, la preuve :

Rodrigo y Gabriela, Postbahnhof am Ostbahnof, Berlin, Allemagne, Europe.

Après quelques années dans les miasmes de la scène «thrash metal» underground mexicaine puis dans l’anonymat des bars musicaux et les rues de Dublin, la notoriété de ce duo tonique a explosé en 2006 grâce à quelques rencontres de bon augure, notamment leur découverte par Damien Rice. «Rodrigo y Gabriela», leur quatrième album après trois disques passés inaperçus, a été celui de leur percée. Depuis, ils n’arrêtent plus. Comme quoi, dans la vie, il ne faut pas baisser les bras. Pour ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas le groupe jusqu’à la semaine dernière, voici Tamacun, l’un des morceaux phares de l’album Rodrigo y Gabriela, qui les a propulsés sur les devants de la scène :



C’est sympa à écouter mais leur musique s’apprécie nettement plus en live, dans la fosse d’une salle de concerts plutôt que confortablement assis sur votre canapé Empire, un verre de pur malt à la main et votre chat birman sur les genoux, tels que je vous imagine en train de lire ces lignes. Voir un extrait de leur impro sur ce même morceau ici pendant les rappels, une de mes rares vidéos du concert. J’étais trop occupé à écouter et à danser pour faire mon geek et tout filmer (même si j’ai été aidé dans cette attitude par le fait que les videurs aient confisqué mon vrai appareil photo tout neuf à l’entrée). Ici, une autre vidéo des rappels vous est offerte par un certain «Chaim1710», qui n’a pas dû se faire que des amis lundi soir au Postbahnhof, vu l’ardeur religieuse avec laquelle il filmé presque chaque morceau du concert. À tous les coups ça devait être un grand dadais d’1m99 en plus, le genre de mec qu’on est toujours ravi d’avoir devant soi au concert ou au ciné. Mais moi, j’étais assez loin à l’arrière de la salle, alors je lui suis plutôt reconnaissant d’avoir ruiné le concert de quelques personnes derrière lui pour faire le bonheur d’un bien plus grand nombre sur YouTube.


En revoyant cette vidéo, je me rends compte à quel point la salle était petite et son acoustique excellente. La femme qui a dit «No pasa nada, tenemos toda la noche» (c’est pas grave, on a toute la nuit), on l’a vraiment entendue, et très bien, dans toute la salle. Pourtant elle n’a pas hurlé comme une truie.

J’aime beaucoup l’idée que ces deux guitaristes latinos tout sourires et à la bonne humeur communicative soient des repentis du seul style musical que je ne puisse vraiment absolument pas supporter. Leur passé de métalleux ne se devine ni à leur look, ni à leur attitude, ni, bien sûr, à l’écoute de leur musique. Si vous êtes curieux de découvrir la musique que jouaient Gabriela et Rodrigo avant leur départ pour l’Europe, voici un morceau du groupe de metal mexicain qu’ils ont quitté en 2000, Tierra Ácida. Et encore, je trouve ce morceau très soft pour du thrash metal, leur musique me fait plutôt penser à du hard rock assez gentil en fait. Du vrai thrash metal sans concession de la grande époque, ça ressemble plutôt à ceci (Anthrax, Fistful of Metal, 1984) ou à cela (Kreator, Pleasure to Kill, 1986). Ce qui me fait penser que la seule chose que je trouve vraiment sympa avec le heavy metal, ce sont les noms des groupes et les titres des «chansons» : cette célébration permanente de la joie de vivre, de la beauté du monde, de l’amour et des choses simples, c’est le printemps en permanence dans vos oreilles, et je suis sûr que vous êtes de mon avis. Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous inflige un pareil supplice ? C’est parce que je vous soupçonne de ne pas vous être assommés avec la bouteille de tequila tout à l’heure... On me la fait pas, à moi, vous savez. Je commence à connaître mes lecteurs depuis le temps.

Cependant, bien que Rodrigo y Gabriela jouent de la musique écoutable et ne glorifient pas la mort, le satanisme, la destruction, la circulaire Guéant, le cannibalisme et la décrépitude toutes les deux minutes, ils n’ont pas complètement tourné la page des origines de leur art. Les influences rock et metal sont largement perceptibles et assumées dans certains de leurs morceaux, notamment dans leur fameuse reprise de Stairway to Heaven:


Ceci étant dit, les gothiques à longs cheveux noirs et au teint blafard ont brillé par leur absence lundi soir. Vraisemblablement sont-ils du genre rancunier, et n’ont pas pardonné à Gabriela et à Rodrigo leur retournement de veste musical, d’où ce boycott. Ça ne m’étonnerait pas d’eux tiens : après tout, quand on écoute en permanence les beuglements insensés et cette agression sonore qui passe pour de la musique, on doit devenir particulièrement aigri et éprouver de la haine en permanence. Dommage, c’eut été rigolo de se retrouver au milieu de sosies de Marilyn Manson tout de même. Ce sera donc pour une prochaine fois. Tiens, dans «vraisemblablement», il y a deux «bl». Les blas m’en tomblent.



En plus de l’ambiance et de la musique en elle-même, j’ai beaucoup aimé le concert pour la chaleureuse présence sur scène de ces deux musiciens pas prétentieux pour un sou. Entre les morceaux, il leur arrivait de prolonger les interruptions pour cause d’ennuis techniques, et ont meublé les silences comme ils pouvaient, en racontant des anecdotes sans grand intérêt mais toujours avec entrain, dans leur anglais au fort accent mexicain. Ainsi, Rodrigo s’est extasié d’avoir trouvé à Berlin un supermarché «vegan» («végétalien» ?) trop trop bien ou nous a raconté comment Gabriela et lui sont grave en galère de guitares car ils n’arrêtent pas de les bousiller pendant leur tournée, et en ont emporté moins que d’habitude car c’est encombrant de se trimballer une douzaine de guitares, voyez-vous ? Qu’ils abîment leurs guitares n’a rien d’étonnant, il n’y a qu’à voir ce qu’ils en font pendant leurs concerts (quand ils ne s’en servent pas comme percussions) :


Ils nous ont gratifiés de ce petit tour d’adresse lundi soir, mais mon film est de trop mauvaise qualité visuelle pour distinguer la bouteille. En revanche, on entend encore mieux le résultat, et c’est spectaculaire. Enfin, on n’écouterait pas ce genre d’expérimentation pendant deux heures, mais pendant trois minutes c’est sympa. Sauf peut-être en Allemagne où toute activité faisant intervenir de la bière, sous quelque forme que ce soit, est forcément très appréciée du public.

Bref, Rodrigo et Gabriela ont communiqué leur énergie au public qui s’était rendu au Postbahnhof. Une soirée comme celle-là donne la pêche pour toute la semaine. Pour finir, je vous mets une vraie photo d’eux, plutôt que mes pauvres clichés tout flous pris de bien trop loin.

Rodrigo et Gabriela, en couple depuis 12 ans
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