vendredi 2 septembre 2011

Une bonne dose de haine dans ce monde de bisounours !

Chic ! Youpi ! Hourra ! La saison des élections a enfin commencé à Berlin ! Le 18 septembre, la ville-État élira son maire, qui porte le titre officiel éminemment belgophile de «Bourgmestre-gouverneur» du Land fédéré. Sans métendre sur les détails rébarbatifs, et Dieu sait quil y en a, Allemagne oblige, j’en viens à l’essentiel : quel bonheur, ces milliers daffiches toutes pourrites qui ont fleuri par monts et par vaux ces dernières semaines, le long des rues, des trottoirs et des canaux, sur tous les réverbères et autres supports verticaux idoines que compte la cité prussienne. Aïe, mes yeux! Ouille, mes aïeux! Fidèles à eux-mêmes, les Teutons nont pas fait dans la dentelle cette année. Certes, on peut s’émouvoir de l’absence des postérieurs à tatouages rebelles ou des décolletés obscènes de quinquagénaires ménopausées qui avaient tant fait jaser lors des législatives de 2009 et agréablement pimenté des débats sinon plutôt raplaplas, quoiqu’aux dépens de la crédibilité de la gent féminine en politique. Cependant, il faut bien que les communicants se renouvellent de temps en temps, sinon gare. Et après tout, bien que les affiches millésime 2011 semblent s’être assagies et évoquent moins une campagne publicitaire de Hot Vidéo Spécial Femmes Mûres qu’à l’accoutumée, ne vous mettez pas martel en tête: il y a tout de même du gros niveau cette année.

"Nous sommes le Peuple!" s'époumonne bruyamment la
Nationaldemokratische Partei Deutschlands
Pour ce tout premier billet consacré aux élections (et selon toute vraisemblance, le tout dernier aussi), je voudrais vous guider à travers mes affiches favorites dans la campagne actuelle : celles des partis de l’extrême-droite, populiste, natio-naliste, humoristique et xénophobe. Avec les partis extrémistes, nous sommes en permanence invités à prendre part à un voyage vers un monde de peur et de dangers imaginaires, et ça tombe bien : j’aime bien les voyages, même quand ça fait un peu peur.

À quoi reconnaît-on les affiches des partis du rejet de l’Autre en Allemagne ? Par leur exaltation de l’idéal aryen ? Par leur glorification de la Volksgemeinschaft spoliée de son Lebensraum ? Par leur surenchère de croix gammées ? Par leur rhétorique viscéralement antisémite ? Vous n’y êtes pas du tout. Tout ceci est interdit et passible de poursuites. Verboten und Grundgesetzwidrig (anticonstitutionnel). Les groupuscules qui tombent dans ce piège facile sont promptement dissous et interdits d’activité, leurs membres mis à l’index et couverts d’opprobre, parfois condamnés à de lourdes amendes. De nombreux partis et associations en ont fait les frais ces dernières décennies, et de nombreux forums internet continuent de se faire pincer: c’est donc une pente très glissante que peu se risquent à aborder ouvertement. Elle semble absente des campagnes de communication dans les rues de Berlin.

Au-dessus de la Friedrichstrasse comme ailleurs,
les affiches de la NPD atteignent la stratosphère 
En fait, il y a un moyen très simple de repérer et d’identifier les affiches d’extrême-droite : il suffit de lever les yeux et le bras droit vers le ciel. Les affiches les plus haut perchées sur les lampadaires sont presque toujours celles des partis nationalistes. La raison à cette préférence pour les hauteurs, à plusieurs coudées au-dessus des miasmes de la populace impure et contaminée par les agents étrangers, est, à mon humble avis, que ces affiches sont régulièrement vandalisées ou carrément décrochées de leur piédestal par les anti-fascistes. Comme elles sont accrochées haut, cela complique d’autant la tâche aux empêcheurs de haïr en rond. Une autre interprétation plausible est que plus les idées d’un parti volent bas, plus ses affiches sont suspendues haut dans le firmament, comme pour compenser et créer une illusion de supériorité à peu de frais. Une fois que vous avez pris le bon pli de regarder en permanence ce qui se passe à cinq mètres au-dessus du sol, et que vous maîtrisez l’art d’arpenter le pavé le nez en l’air tout en évitant les crottes sur le trottoir (précaution facultative mais vivement recommandée), vous êtes fin prêts pour débuter l’exploration méthodique.

Tout à droite de l’échiquier politique, trois partis nationalistes se tirent la bourre et flattent les plus bas instincts des électeurs de la capitale, au nombre desquels votre dévoué chroniqueur n’est pas peu fier de se compter. Dernier venu dans le paysage, le parti Die Freiheit («La Liberté») a été fondé fin 2010 par un politicaillon est-berlinois en mal de reconnaissance, s’inspirant des percées électorales des populistes européens et du succès commercial de l’opus xénophobe de Thilo Sarrazin paru à la même époque, comme je vous le disais déjà récemment. Le nom même du parti reflète cette émulation, puisqu’il évoque sans faux-semblants le Partij voor Vrijheid de l’épouvantail peroxydé Geert Wilders, son modèle néerlandais. Pour sa toute première échéance électorale, d’aucuns espéraient une campagne choc, une surenchère de provocations et de slogans haineux et dérangeants afin d’exister dans cet environnement bien encombré. Hélas, entre les discours timorés du parti et le visuel très pauvre des affiches, qui nous assomment plus d’ennui que de peur, l’électeur xénophobe qui sommeille en chacun de nous reste sur sa faim. Je prédis à Herr Stadtkewitz une défaite cuisante le 18 septembre. Ça lui apprendra à manquer d’audace et à être si peu photogénique. Bouh le gros naze même pas beau.

"Notre culture dominante - L'intégration est une dette importée"
OK, on en prend bonne note. Mais encore?
"Un métro sûr - Pour vous permettre de bien rentrer chez vous."
Mazette, ça décoiffe !

Un peu plus ancienne dans le milieu, et déjà nettement plus aguerrie aux méthodes de provocation et aux discours de haine et de rejet sans ambages, la Bürgerbewegung pro Deutschland («Mouvement des Burgers pros en Allemagne»), fondée à Cologne en 2005, est désormais reconnaissable entre tous par son logo représentant une mosquée barrée depuis l’époque où elle n’était qu’un petit parti régional qui s’appelait Pro Köln. Enfin, comme vous verrez plus bas, on n’est plus très sûr qu’il s’agisse vraiment d’une mosquée... Étant donné que les thèmes abordés sont absolument classiques et sans aucune originalité («non aux immigrés, non à la délinquance, et d’ailleurs il y a une corrélation indiscutable entre les deux, n’est-ce pas»), ce qui compte c’est de mettre le paquet sur la forme pour rendre audible un message sans cesse rebattu et plus vraiment nouveau.

Sur la prestigieuse avenue Unter den Linden, le mouvement des Burgers nous appelle
à aller "voter pour les thèses de Thilo". Thilo? Mais qui est ce Thilo? 
Les Burgers ont la trouille: "Capitale de la peur? Pas avec nous!"
Oui, j'ai peur qu'on me vole mon vélo. Faisez quequ'chose messieurs les Burgers !
À part ça, des idées contre le chômage? Non? Quelle surprise!
Thilo Sarrazin a beau ne pas porter les musulmans dans son coeur, il a protesté énergiquement lorsque le parti d'extrême droite a eu l'outrecuidance de rendre hommage à son best-seller xénophobe. Sacré Thilo! Pourtant, rien ne disait qu'il s'agissait de lui! Néanmoins, le Mouvement des Burgers Apeurés n'a pas eu d'autre choix que de modifier à l'arrache ses affiches. "Votez pour des thèses censurées", c'est intéressant... Mein Kampf aussi est "censuré" en Allemagne.
Alors, mosquée ou pas mosquée? J'ai l'impression funeste que le Mouvement des
Burgers veut démolir  l'Oberbaumbrücke! Au secours!
Pour finir, mon affiche préférée du Mouvement des Burgers, sur la Landsberger Allee.
"Nos femmes sont libres!" Messieurs les Burgers, "nos" femmes vous remercient!
Et sinon, des propositions pour l'éducation? Toujours pas? Quel dommage...

Vainqueur incontesté de cette guerre des mots et des images sur les rives de la Spree, la Nationaldemokratische Partei Deutschlands, doyenne de l’extrême-droite allemande et grande recycleuse de nazis (les vrais hein, pas les «néos») dès sa création en RFA en 1964, n’est pas étrangère aux stratégies de provocation si outrancières qu’elles suscitent immédiatement le malaise et lui attirent des déluges de critiques qu’elle exploite sans vergogne. Lorsque l’exaspération atteint son paroxysme, il se trouve toujours un groupe de parlementaires qui proposent de faire interdire la NPD, bien que toutes les tentatives antérieures se soient systématiquement soldées par autant d’échecs. Ces fiascos ne font, malheureusement, que renforcer le parti, conforté dans son image de paria muselé par l’establishment. Cela ne vous rappelle rien? Délibérément choquants et ouvertement racistes, les slogans ont une tonalité agressive: il n’y est question que de «punir» les ennemis désignés (politiciens, pédophiles et criminels) et d’«expulser» les indésirables: les étrangers, les criminels (qui vont de pair) et la monnaie unique. C’est d’une simplicité enfantine. On attend encore les propositions de la NPD pour l’éducation, pour l’emploi, pour l’urbanisme, pour la culture... et quelque chose me dit qu’on risque d’attendre longtemps! En attendant, sur ses thèmes favoris, le parti néo-nazi a multiplié les attaques.

Première salve: Udo Voigt, le président du Parti nationaliste, est photographié en rebelle sur sa moto, blouson en cuir sur le dos, exsudant la virilité et la testostérone. “Gas geben!” nous dit-il, une expression gentillette et inoffensive qui se traduit normalement par «Accélérons», et qui a déjà été utilisée dans des campagnes publicitaires tout à fait différentes. L’ennui, c’est que dans la bouche des héritiers du nazisme, il est difficile de ne pas adopter une lecture plus littérale de ce «à plein gaz». Il n’en fallait donc pas plus pour susciter une nouvelle polémique. Personne n’est dupe de l’innocence feinte par le parti et quant à ses intentions, mais il est impossible de prouver quoi que ce soit sur ce cas précis. La NPD a su, une fois de plus, s’attirer les critiques pour mieux se poser en victime. La technique est sacrément bien rodée.

"Gas geben", en pleine Friedrichstrasse
Quelques aimables vociférations de la NPD sur le thème «Tous en taule!» Cela se passe de commentaires.

"Une GIFLE pour les grands pontes de la politique!" à Hallesches Tor

"Défendez-vous!" exhorte la boxeuse teutonne à casquette.
L'affiche vandalisée dit sobrement Deutsche KINDER braucht das Land,
"Notre pays a besoin d'enfants allemands"...

La SÉCURITÉ par le DROIT et L'ORDRE (nouveau?)
"PEINE MAXIMALE pour les pédophiles!"
Je suppose que cela n'est applicable que si la victime est un "enfant allemand", bien entendu...


"SANCTIONNEZ les saloperies des politiciens!"


Il est faux de dire que la NPD ne propose rien en matière économique. Elle a fait des propositions solides, audacieuses et novatrices pour soutenir la croissance allemande, et en voici les plus hardies:

"Notre TRAVAIL, notre ARGENT - Quittons l'Euro!"
"Oui au TRAVAIL, non à la PAUVRETÉ"
Fallait y penser!
Mais la NPD ne serait que l’ombre d’elle-même si elle ne ne réservait pas ses attaques les plus cinglantes contre les «étrangers», qu’elle définit à sa manière, selon le critère racial cher aux national-socialistes: est étranger qui n’est pas de «sang» allemand, quand bien même il serait né allemand ou aurait acquis la nationalité. Une telle définition exclut automatiquement près de la moitié de la Nationalmannschaft. Trêve de blabla, passons aux images.

Soziale Sicherheit statt Multikulti!
"La sécurité sociale plutôt que le multiculturalisme!"
"Bon retour au bercail et bon vent!" Une invitation au voyage, vous disais-je!
Une autre invitation au voyage: "Rentrez chez vous!"
Et pour finir en beauté, voici, de très loin, mon affiche préférée de la NPD, et de toutes celles-ci dessus. Je l’ai aperçue dimanche dernier à Treptower Park, en un exemplaire unique que je n’ai revu nulle part, et j’en suis restée bouche bée! Ça donne quoi quand les néo-nazis insultent les étrangers ou les citoyens allemands d’origine étrangère en faisant des rimes? Eh bien cela donne une perle collector du genre:

Si Ali
Commet un délit:
On l’renvoie au pays
Sans chichis!”

Magnifique! La version allemande est d’ailleurs nettement plus jolie. Avec un tel talent, on est presque attristé de savoir que ces partis extrémistes récolteront à peine 3 ou 4% des voix. Leurs membres devraient peut-être laisser tomber la politique et se lancer dans des carrières d’«humoristes», à la Eric Zemmour? Ce n’est qu’une idée, bien sûr.

Vous avez dit raciste ? Mais jamais de la vie, voyons !
La bien-pensance, y'en a ras l'bol !

2 commentaires:

  1. Bonjour et merci pour ce florilège... Je n'en avais pas remarqué autant, de ces affiches-là, et du coup je me dis que j'y vis vraiment, dans le monde des Bisounours.
    En tout cas, incroyable comme la connerie peut rendre créatif.

    Ah, et au fait, je me suis permis de mettre un p'tit lien chez moi vers ce billet, car le sujet m'a inspiré - ce qui était inespéré en ce jour de rentrée des classes... Rendons à César...

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  2. Mais je t'en prie, chère Plappern ! Ravi que tu aies apprécié le résultat de cette petite enquête. Je suis bien de ton avis, on peut être très con et très créatif à la fois, le résultat est de toute beauté.

    Et je te remercie pour le lien, en général je ne me plains pas du tout de cela :-)

    Bon courage pour la rentrée des classes ! Mais d'ailleurs je croyais qu'elle avait eu lieu bien plus tôt la rentrée, genre il y a bien 2 semaines ? Là je suis trop loin de Berlin pour rester à la page.

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Un petit bonjour ?

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