mercredi 28 septembre 2011

Altweibersommer dans un havre de tranquillité menacé

Naaaa-na-na, la-la-la-la, na-naaa-na-na... Une chanson me trotte dans la tête, un de ces airs idiots et obsédants dont il est difficile de se débarrasser pendant des heures à partir de ce moment funeste où ils ont pris leurs quartiers dans votre cerveau. Attention ! Ne cliquez pas sur ce lien ! Vous risqueriez de le regretter ! Je vous aurai prévenus... Oh et puis tant pis pour vous. 

Les "Grauen" vous souhaitent
une courte jeunesse, un prompt
vieillissement et une lente agonie.
Il plane sur Berlin un parfum d’«Altweibersommer». Ce curieux vocable, qui semble conclure chaque bulletin météo teuton en cette fin septembre aussi sûrement que des perles inestimables (ou plutôt, notées AAAAA comme l’andouillette de Troyes) concluent invariablement chaque nouvelle une déroute électorale de l’UMP en cet an IV de l’ère Sarkozy, signifie, à ce que m’ont répondu 100% d’Allemands que j’ai interrogés, l’«été des vieilles dames». 

Je ne trouve rien à redire au fait que le pays le plus vieux d’Europe rende un si vibrant hommage à ses vénérables séniors, vu que ces derniers ont déjà leur propre parti politique, le parti des «Panthères Grises», qui a fait campagne lors de la toute dernière élection à Berlin avec des slogans particulièrement réjouissants, comme «Vos enfants aussi seront retraités un jour»... Certes, on comprend où ces joyeux lurons veulent en venir, même si l’argument frôle le sophisme (soigner les retraités de 2011 ne veut certainement pas dire prendre en compte le bonheur des futurs retraités de 2071 de manière automatique), et puis tout de même... Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! Qui a dit que l’optimisme et la joie de vivre étaient le propre de la jeunesse ? Dommage que les Grauen se soient arrêtés en si bon chemin. Ils auraient pu pousser le raisonnement plus en avant, et oser quelque formule plus hardie, plus «choc», comme par exemple «Vos enfants aussi auront Alzheimer» ou, «On vous avait bien dit qu’un jour vous seriez incontinents et feriez caca dans une poche plastique, bien fait, na», ou plus lapidaire mais ô combien in your face : «Born To Die», histoire de faire le buzz et de damer le pion aux provocateurs habituels. Mais je m’égare. Respect pour les vieilles dames en Germanie, donc, disais-je. Cependant, quand j’ai insisté et exigé de savoir quel était le rapport logique entre un ciel bleu pur et des températures clémentes en septembre d’une part, et d’autre part, des vieillardes décrépites, au soir, à la chandelle, assises auprès du feu, dévidant et filant, personne n’a su me fournir un début de réponse satisfaisante.
 
Un coin de Berlin à la fin septembre
Comme toujours, j’ai donc mandé mon pote Wicky Pedia qui sait tout, et la réponse n’a pas tardé à venir : en fait, les Altweiber en question ne sont pas de vieilles dames, mais désignent des toiles d’araignée («Spinnweben») en vieux patois, puisque les belles journées de début d’automne voient foisonner, dans les jardins, les buissons et dans tous les recoins de mon appart, ces pièges de soie habités d’une gardienne solitaire à huit pattes. Capisce ? Ce ne sont pas les Berlinois(es) parmi vous qui me contrediront. Pour mieux enfoncer le clou, un arrêt du tribunal de Darmstadt, en 1989, a confirmé que l’expression Altweibersommer n’a rien de péjoratif envers les femmes âgées, des fois que de vieilles biques acariâtres auraient l’idée d’en prendre la mouche. Les magistrats, pas tombés de la dernière pluie, savent se prémunir contre le pouvoir de nuisance des retraitées allemandes, qu’il serait fort imprudent de sous-estimer au pays des Grauen Panther. Tatie Danielle aurait très bien pu être d’ici.

Pfiou ! Mes aïeux, quel bavardage ! Quatre paragraphes de bla-bla et de digressions pour introduire la notion d’Altweibersommer. Donc voilà : après un été tout pourri de bout en bout et alors que les feuillages jaunissent déjà et que nous nous apprêtions à entrer en hibernation sous peu, l’arrière-saison nous accorde un sursis inespéré.

Vous êtes bien au cœur de la capitale de la
République Fédérale d'Allemagne... Pincez-vous.
Tout récemment, au hasard d’une partie de beach volley-ball, mes amis m’ont fait découvrir un endroit complètement inattendu au cœur de la capitale : un camping ! Vous imaginez un camping (un vrai avec des campeurs, pas une opération humanitaire à la «Don Quichotte») dans un rayon de 500 mètres des quais de la gare du Nord et de ses Eurostars ? Bien sûr que non. Eh pourtant, Berlin l’a fait : dans un recoin de ce quartier décidément plein de surprises qu’est Moabit, à un demi-kilomètre de la façade rutilante de Hauptbahnhof, du vacarme dément de l’Invalidenstraße et de la prison la plus célèbre de la capitale, une énième friche urbaine s’étend discrètement, composée de vastes pelouses, de deux grandes piscines désaffectées, et d’arbres poussant anarchiquement au milieu de tout ça. Le calme règne. Sur les pelouses, quelques dizaines de tentes, petites et grandes, et quelques camping-cars. Pas de doute, c’est bien un camping. Les deux piscines de l’ancien Sommerbad Moabit («bain public d’été de Moabit») sont à sec depuis bien longtemps, à en juger par la belle taille qu’ont atteint les bouleaux qui poussent sur ses berges, le tronc surgi d’entre les dalles.

Comme un air de ghetto de Ell'Ayy.
La grande piscine a été reconvertie en terrain de skateboard, le dénivelé à pente variable de cette surface de béton se prêtant parfaitement aux exercices d’adresse sur la planche, semble-t-il. Je les ai longuement observés et ils ont l’air de bien s’amuser, les ados rebelles à roulettes.

La petite pataugeoire, nettement moins profonde, a été remplie de sable et fait office de terrain de beach volley-ball ! Le sable n’est pas très propre et est très dur sous les pieds, et le filet est capricieux, mais on joue gratuitement et aussi longtemps que l’on veut, dans le calme boisé de ce coin oublié de Berlin : ça nous change du cadre hyper-branchouille de Beach-Mitte, son sable tropical, ses réservations millimétrées, ses chaises longues, ses binouzes et ses bellâtres peroxydés. 




Merci à Elena pour ces chouettes photos prises dans le feu de l’action ! Je suis content et ô combien chanceux d’avoir eu le temps de découvrir cet endroit irréel en cette fin d’été : dans une semaine, mardi prochain, zou ! Tout le monde déménage ! Toujours la même histoire bien berlinoise : le terrain est vendu depuis 2009, le propriétaire s’impatiente, et le locataire est prié de décamper et d’aller se faire pendre ailleurs. Après avoir évacué le bain public désaffecté, le camping, décidément habitué des lieux à l’abandon, rouvrira ses portes sur le site... d’un cimetière abandonné, près de l’ancien aéroport de Tempelhof. Les pierres tombales ont été enlevées (dommage, elles auraient mis l’ambiance), mais les ossements sont encore là dans le sol, sous les emplacements réservés aux futurs campeurs. Berlin aura-t-il enfin son premier camping hanté ? Réponse au printemps prochain à la réouverture. 

Allez donc camper chez les morts, bande de ploucs !
Achtung : ne pas creuser de trous trop profonds...
Les piscines à sec, elles, resteront bien évidemment sur place. On ne sait pas encore ce qu’il en adviendra, ni dans quel état on les retrouvera l’an prochain. La pataugeoire sera-t-elle toujours remplie de sable dégueu ? Le filet de beach-volley sera-t-il plus facile à installer ? Rien n’est moins sûr. Quoi qu’il en soit, il n’est pas encore né, le promoteur qui construira un hôtel de luxe dans ce quartier peu glamour. Un bon signe : les nouveaux propriétaires ne sont nul autre que les exploitants du Liquidrom, le grand établissement de bains à Möckernbrücke, près de Potsdamer Platz. Peut-être auront-ils la bonne idée de rendre le Sommerbad Moabit à sa vocation initiale, même si pour cela il faudra abattre quelques bouleaux sacrément coriaces...


Sous la tête de Bart Simpson, un graffiti en français. Yay ! La jeunesse berlinoise désœuvrée est polyglotte.
Au Sommerbad Moabit, c'est toujours la récré en fait

Ça pousse vite un bouleau ?

mercredi 21 septembre 2011

Les gens du voyage

Allez, au dodo. Ce soir est un grand soir : je vais me coucher dans la même ville que celle où j'ai dormi hier. Passer deux nuits d'affilée dans la même localité, cela ne m'était plus arrivé depuis les 5 et 6 septembre derniers., à Oaxaca. Cela méritait d'être souligné... La sédentarité, ça a du bon !

Mais d’où venez vous, cher ami ?

Un dimanche matin de septembre, aéroport de Berlin-Tegel. Le ciel est gris et bas, il pleut à torrents. Un voyageur jetlagué, trop épuisé par les dernières journées qu’il a principalement passées dans des avions et des aéroports un peu partout pour que le temps maussade l’affecte, décide de héler un taxi plutôt que de s’affaler dans le bus et de louper sa gare de S-Bahn. Il se traîne jusqu’à la station de taxis. Une femme brune au teint mat lui fait signe de monter dans sa Mercedes. Le voyageur laisse ses bagages dans le coffre, et s’installe à l’arrière de l’automobile. Dans un allemand encore plus hésitant qu’à l’accoutumée, après de longues «vacances linguistiques» loin de la sphère germanophone, il bafouille une adresse dans le quartier de Friedrichshain. C’est fou ce qu’on peut vite perdre son allemand, s’étonne-t-il alors que le spacieux véhicule démarre et file sans bruit sous la pluie battante. Où peut-être est-ce seulement sa bouche pâteuse qui répugne à articuler la langue de Goethe ? À la fenêtre, il aperçoit, sur Saatwinkler Damm, le long du Hohenzollernkanal, des dizaines de ces affiches familières, rouges, blanches et noires, qui lui souhaitent un «Bon VOL RETOUR». Bonjour l’accueil. Il ne peut s’empêcher de sourire du cynisme de ce parti politique qui est allé coller ces affiches à cet endroit précis, le long de la principale rue qui mène à l’aéroport, sur des centaines de mètres. Le premier qui dit Kraft durch Freude a perdu. À part les affiches xénophobes qui mettent, ironiquement, un peu de couleur dans cette riche palette de gris tout alentour, le monde entier semble s’être liquéfié.

«Quel sale temps, hein ? Incroyable !
– Sale temps, c’est clair. L’été est bien fini.
– Vous êtes français ?
– Oui.
– Ah, französisch, c’est bien ça. Et Papa, Mama, afrikanisch

J’aime beaucoup les chauffeurs de taxi turcs. (Et heureusement, d’ailleurs, car il n’y a pas beaucoup d’autres nationalités dans la profession, de vous à moi.) Il y en a deux catégories : les «taiseux» qui, silencieux et renfrognés, me conduisent à bon port en un temps record, avant même que j’aie le temps de me lasser des tagadoum-tsoin-tsoin de leur CD de pop orientale ou de hip-hop turc, non sans jeter quelques regards mauvais vers moi dans le rétroviseur de temps en temps, et les «causeurs», qui font gentiment la conversation sur n’importe quel sujet, avec la foi et la conviction des illuminés. J’apprécie le fait que les taiseux me laissent regarder défiler les rues en paix, mais j’ai un faible pour les causeurs. On refait le monde ensemble. Et le monde, bah il est sacrément simple en fait : les Allemands et les Français sont blancs et s’appellent Schmidt ou Dupont, les Africains sont noirs (et inversement, les Noirs sont nécessairement africains), les Chinois ont les yeux bridés et mangent beaucoup de riz quand ils ne sont pas occupés à porter des tenues amples et à casser des briques à poings nus en poussant des cris aigus et pas toujours super virils, mais total respect quand même parce que bon, la brique elle vole en éclats. Et les Turcs sont de bons musulmans gentils et travailleurs, ou des truands bons pour la potence, ou les deux. Un monde simple, vous dis-je. Par conséquent, il y a bien longtemps que j’ai renoncé à les instruire quant à l’existence de ce confetti tropical français appelé Martinique, situé à 6848 km de l’aéroport d’Orly, un modeste récif grand comme la moitié d’Istanbul et peuplé de Français qui peuvent avoir l’air afrikanisch pour le profane, certes, mais n’en sont pas moins französisch pour autant. C’est une tâche absurde et gigantesque, à recommencer sans cesse, en pure perte. Sisyphe, en comparaison, était bien mieux loti avec son rocher, c’te mauviette. Le tonneau des Danaïdes ? De la gnognotte. Et aujourd’hui, je me sens trop las pour me lancer dans une énième leçon d’histoire de la colonisation européenne de ces îles qu’on ne voit même pas sur un planisphère, et un cours magistral de géopolitique sur le rayonnement de la France dans le monde. Dans mon allemand «petit-nègre» de surcroît, bien évidemment.

«Non, pas africains : brésiliens».

Pour les cancres en géographie : enfin vous saurez placer
la Martinique sur un planisphère !
Les Turcs savent où se situe le Brésil et à quoi ressemblent les footballeurs brésiliens. Aussi en général cette grossière affabulation leur suffit-elle amplement : ils hochent la tête avec satisfaction, ayant obtenu une réponse acceptable sur l’insondable mystère du pedigree de ce curieux passager négroïde au fort accent français et à la grammaire aussi approximative que la leur, et m’adressent ce sourire et ce regard triomphaux qui disent : «J’avais deviné, vieux. On me la fait pas à moi». LOL. Et dire que, quand j’ai quitté la Martinique il y a treize ans, les épices me montaient immédiatement au nez lorsque mes interlocuteurs parisiens les moins avisés confondaient allègrement la Martinique et la Guadeloupe comme si les deux étaient interchangeables et synonymes, comme les deux noms d’une même contrée lointaine, indéfinie, et insignifiante... Je ne laissais rien passer et remettais illico les pendules à l’heure. Quelques années plus tard, alors que je découvrais le Livre des Visages, j’ai vite fait de rejoindre un groupe nommé “If You Don’t Know Where My Country Is, Buy An Atlas, Bitch!”, une fraternité occulte de jeunes êtres traumatisés et profondément écœurés par l’ignorance abyssale de leurs contemporains qui, selon leur niveau d’inculture, pouvaient confondre Slovaquie et Slovénie, Swaziland et Suisse (Switzerland), annexaient la Colombie aux États-Unis (en l’appelant «Columbia»), trébuchaient magistralement sur la localisation de leur glorieuse patrie, le Paraguay, le Liberia ou la Bulgarie, ou pis encore, n’en avaient jamais entendu parler de leur vie. Je me sentais à mon aise dans ce groupe où des centaines d’incompris, blessés dans leur patriotisme, s’épanchaient à la cantonade et pleuraient virtuellement sur les épaules de leurs compagnons d’infortune, apatrides de la Toile tout comme eux, qu’ils soient du Vanuatu ou de Nauru, du Malawi ou des Kiribati, d’Azerbaïdjan ou du Bhoutan, de San Marino ou du Togo, du Botswana ou du Sri Lanka. La thérapie a fonctionné à merveille.

Dès lors, que de chemin parcouru depuis les fougueux éclats de colère de cette ombrageuse jeunesse déracinée ! Il y a bien longtemps que je me suis résigné à l’idée que plusieurs milliards d’êtres humains n’ont jamais entendu parler du pays d’où je viens, et parmi eux, la totalité des chauffeurs de taxi berlinois avides de conversation. Dans les pays arabes, les badauds indiscrets et perplexes, eux, ont le bon goût de me prendre pour un des leurs et de soutenir mordicus que je suis un Maghrébin pur jus, sans doute un Berbère de Ouarzazate, ou alors sûrement un Libyen qui s’ignore, peut-être à la rigueur un Soudanais ? Non, toujours pas ? Et j’ai beau jurer du contraire, rien n’y fait : je suis pour eux une brebis égarée qui finira, avec leur aide bienveillante, par renouer avec ses vraies origines nord-africaines, inch’Allah. Les Arabes ont dans le fond quelque chose de touchant, à tant insister pour faire de moi un frère. Avec les Turcs, c’est plus simple mais beaucoup moins drôle, puisque, comme je disais, en général, prétendre que je que je viens de ce grand pays de samba et de futebol où je n’ai jamais mis les pieds, ça suffit à clore le sujet. En général...

Aimé Césaire, grand poète martiniquais, se réjouit
du succès de son Cahier d'un Retour au pays natal.
Son ami Léopold Sédar Senghor le porte en triomphe.
«Vos deux parents sont brasilianisch

Zut, on s’éloigne du scénario habituel ! Je  perçois un danger imminent. Que faire ? Poursuivre sur ce terrain glissant ou limiter les dégâts ?

«Euhhhh... non. Ma mère est brésilienne, mais mon père est français en fait.
– Aaaaah, comme c’est bien : Papa französisch et Mama brasilianisch ! Vous vous sentez plutôt français ou plutôt brésilien ?
– Mmmmhhh, plutôt français quand même !
– Vous vous marierez avec une femme française ou brésilienne ?
– Ouh là, je ne sais pas... mais peu importe en fait.
– Allemande ?
– Oui, c’est ça, ouais.
– Alors vos enfants seront deutsch, französisch und brasilianisch. La classe !»

Morbleu, mais c’est une coriace celle-là ! Ma généalogie imaginaire la passionne au premier degré. Il faut absolument tenter la diversion en inversant le flux de questions et de réponses avant que je pète un câble. Je ne me sens pas d’humeur à m’inventer un avatar brésilien là, tout de suite.

«Et vous, vous êtes türkisch?
– Oui, je suis turque, je viens d’un petit village.
– Ah, ça doit être joli. C’est où ?
– C’est un tout petit village.
– C’est dans la montagne ?
– Oui, dans la montagne.
– Oooooh, ça doit être sehr schööööön ! J’adore la montagne.
– Oui, c’est joli. Mais il n’y a pas grand chose. Juste la famille. J’y rentre chaque année avec mes parents pour voir la famille. Je n’ai jamais vu Frankfurt, je n’ai jamais vu Paris, je n’ai jamais vu Brasilien. Je n’ai jamais vu Istanbul ou Ankara. Toujours Berlin pour travailler et le village pour la famille.
– Mais si vous allez en Turquie, vous avez sûrement vu l’aéroport d’Istanbul ou celui d’Ankara, non ?
– Ben voyons ! On y va en voiture !
– Ah bon... Je ne suis jamais allé en Türkei. J’aimerais bien y aller; ça doit être très beau.
– Oui, c’est beau.
– L’an dernier, je n’étais pas très loin. J’étais en Syrie. C’était magnifique.
– Vraiment ?
– Oh, oui. Je suis allé à Halab [Alep], vous savez ?
– Oui, Halab. Et ?
– C’est une ville vieille de 5000 ans ! C’est incroyable. Il y a tellement d’histoire et de culture !
– Ooooooh !
– Et on y mange bien, et les gens sont merveilleusement accueillants, chaleureux, aimables. Ils sont très curieux envers les étrangers.
– Oui, en Türkei aussi les gens sont très curieux quand ils rencontrent des étrangers. Même à moi, quand je rentre au pays, on me pose plein de questions sur l’Allemagne, comme si j’étais deutsch. Ils me demandent comment sont les Deutschen, ce que les Allemands boivent, comment ils dorment... Mais moi, je n’en sais pas grand chose, je ne suis pas allemande et n’ai pas d’amis allemands.
– OK...
– Est-ce que les Franzosen boivent autant d’eau que les Deutschen ?
– Plaît-il ?!?!?
– Est-ce que les Français boivent beaucoup d’eau ?
– Ha, ha. Bien sûr que non. Ils ne boivent que du champagne !
– Ah le champagne. C’est bon ça. Et ils ne dorment pas beaucoup, les Franzosen, n’est-ce pas ? Ils préfèrent aller au cabaret ?
– Euh...»

Avec effroi, je me rends compte que non seulement elle ne plaisante pas le moins du monde et que ses questions sur les Français sont tout à fait sérieuses, mais qu’en plus, j’ai à nouveau perdu la main et c’est à nouveau elle qui mène cet interrogatoire surréaliste. Elle a dû profiter d’une seconde d’inattention de ma part pour reprendre le dessus. Et moi je n’ai aucune envie de me laisser embarquer dans une digression nostalgique sur la grande époque de Mistinguett ou de lui fredonner les plus grands succès de Maurice Chevalier. Non vraiment pas.

«Ben ça dépend... dans les grandes villes, oui les gens vont au cabaret, mais dans les villages, les gens vont dormir plus tôt.
– Mmmh... Ach so. Est-ce que les parents français sont sévères avec leurs enfants ? Est-ce qu’ils les frappent ?
– Bah non, dites-donc, vous. Est-ce que les parents turcs frappent leurs enfants ?
– Si les enfants font des bêtises, il faut frapper. Et les parents brésiliens, est-ce qu’ils frappent leurs enfants lorsqu’ils font des bêtises ?
– Certains, oui, d’autres, non. Ch’chais pas en fait. De toute façon je n’arrive pas à imaginer comment on peut lever la main sur un enfant...
–  Mais parfois il le faut. Comment faire sinon, wenn sie falsch machen ?
– Si vous le dites...
– Les Brasilianer aiment beaucoup danser, non ? Ils jouent de la bonne musique et dansent tout le temps ?
– Oui, ils dansent bien. Pardon, “on”danse bien, “nous autres”, au Brésil.
– Est-ce qu’ils sont riches comme en Deutschland ?
– Il y a des riches comme en Allemagne, mais il y a des pauvres aussi.
– Et en Frankreich, les gens sont riches ?
– Peut-être un peu comme en Allemagne...
– Vos parents habitent à Paris ? Ils ont un bel appartement ?
– Non, ils ne vivent pas à Paris, mais sur une petite île dans la mer. C’est loin de Paris. Il y a du soleil, il fait chaud.
– C’est une île de luxe avec des millionnaires et des villas et des bateaux ?»

Damnation ! Malgré tout ce pipeau sur le Brésil qui me coûte tant d’efforts à rendre crédible, me revoilà sur le point d’être questionné sur cette petite île inconnue qui m’a vu grandir. Mon interlocutrice déborde d’imagination, et moi je n’ose plus lui expédier des réponses trop simples et trop éloignées de la vérité, de peur de m’enfermer encore davantage dans mes bobards et de ne plus pouvoir m’en sortir, car la «chauffeure» (pour causer moderne) ne perd pas le fil, même dans cette conversation en apparence archi-décousue.

«Non, une île normale, avec des gens normaux.
– Des Français ?
– Oui.
– Il y a beaucoup de Brésiliens sur cette île ?
– Euh, non, juste ma mère en fait...
– Est-ce qu’il y a des Noirs alors ?
– Oui, il y a des Noirs, et des Blancs aussi.
– Ah bon ? Mais c’est en France ou en Afrique ?»

Et voilà, nous y sommes. En fin de compte, je me retrouve contraint à résumer l’histoire de la conquête des Antilles par les Européens, le génocide des Indiens Caraïbes, l’esclavage, les plantations de canne à sucre. Vous avez donc encore des esclaves, s’inquiète-t-elle. Je la rassure : meuh non, les Noirs ne sont plus esclaves, d’ailleurs, il n’y a plus d’esclaves, puisque c’est... euh... interdit. Mais les enfants des esclaves d’antan sont restés. Et leurs arrière-arrière-arrière-arrière-petits-enfants sont les Martiniquais d’aujourd’hui, conclus-je, ému, en une sublime envolée lyrique dans mon plus bel «Unserdeutsch».

Ça ne loupe pas, j’ai droit à la réaction habituelle : le silence perplexe et incrédule. Ça tient pas debout mes histoires de Noirs même pas africains (et encore moins brésiliens) qui se prennent pour des Français alors qu’ils sont noirs et vivent pieds nus sur une île qui n’existe pas, puisque le Premier ministre Erdogan n’en a jamais parlé. C’est comme de la science-fiction, mais en beaucoup moins bien. À ce stade, le «causeur» se fait invariablement «taiseux», et après une courte pause méditative, allume la radio sur une station qui diffuse des braillements enamourés de pop orientale, pour ne plus avoir à entendre les menteries effrontées de ce passager outrecuidant. Et bien heureusement, la course touche rapidement à sa fin. L’instant d’après, ma «chauffeure», comme les taiseux habituels, me débarque devant ma porte, exige son dû, se déleste de mes bagages, et repart prestement, sans demander son reste.

De grâce, donnez-moi un tonneau sans fond à remplir jusqu’à la fin des temps : je suis preneur.

lundi 19 septembre 2011

Pas de wifi au Paradis

«Pouvez-vous nous emmener au Paradis ?»

C’est la question a priori peu banale que j’ai posée au chauffeur en montant dans le bus, de bon matin, alors que le soleil, dans un ciel bleu pur, nous écrasait déjà de ses rayons encore obliques. La question ne m’a paru saugrenue qu’après m’être entendu la prononcer. Le chauffeur, plutôt que de répondre «M’enfin jeune homme, ne voyez-vous pas que nous y sommes déjà, au Paradis ?», s’est contenté de grommeler un «» à peine audible en haussant les épaules. C’était la confirmation dont j’avais besoin pour être certain que le bus allait bien me conduire jusqu’à la playa del Paraíso, «El Paraíso» étant en fait une paillote plantée à une douzaine de mètres d’une eau turquoise d’une clarté à couper le souffle, tout près du site maya de Tulum et non loin de la bourgade du même nom. Dit comme ça, je vous concède que ça ne fait pas très glam’ comme paradis, mais sincèrement, rares sont les bouis-bouis qui portent si bien leur nom que celui-ci.

Un bout du «Temple du Dieu Descendant» et de mer Caraïbe sur le site archéologique de Tulum
En réalité, le site est immense, mais seuls quelques temples et palais sont aussi bien situés au-dessus de la mer.

En plus de sa localisation remarquable et de son panorama imprenable sur la Mer des Caraïbes, le site de Tulum présente la particularité d’être l’une des cités mayas les plus récentes, ayant surgi longtemps après la chute des États puissants de Palenque, de Chichén Itzá ou de Tikal, et n’ayant été abandonnée de ses habitants que plusieurs décennies après la conquête espagnole. Pour admirer ces fameuses ruines, je n’ai pas hésité à me lancer dans une odyssée de 13 heures en bus de nuit, depuis le fin fond de la jungle du Chiapas. Mais les ruines, toutes spectaculaires qu’elles sont, sur leurs falaises surplombant l’azur, on les visite en deux heures à peine, même quand on prend le temps de jouer avec les iguanes. Ce sont les ruines qui m’ont fait venir à Tulum, mais c’est la plage du Paraíso qui m’a persuadé d’y rester jusqu’au lendemain. Il en est souvent allé ainsi pendant ces vacances : je me rendais quelque part dans un but très précis, et prolongeais mon séjour pour des raisons imprévues.

Y’a pas foule au Paradis, c’est le moins que l’on puisse dire !

Mais voilà : le Paradis mexicain, c’est fini. J’ai retrouvé mon purgatoire berlinois, gris et pluvieux. Et mes Chroniques ! Alors encore un peu de patience, chères Lectrices (et chers lecteurs) : les prochains billets seront bientôt prêts. Peut-être réussirai-je même à raconter ce périple merveilleux, plein de surprises et de contrastes, mais pas non plus de tout repos, dans un pays où je ne me ferais pas prier pour revenir et passer plus de temps, tant il y a des choses à faire et à voir. Alors je vous dis à bientôt !

jeudi 8 septembre 2011

Heidi sur vos écrans

C’est comme une étrange malédiction, un ensorcellement diabolique qui guette tout voyageur non averti lors de son exploration des contrées latino-américaines. Je ne parle certes pas de la redoutable malédiction inca à laquelle Tintin parvient à échapper in extremis dans Le Temple du Soleil. Non, pis que cela. La «maldición alemana», c’est ce maléfice carrément flippant qui fait que, quel que soit le pays d’Amérique Latine où vous élirez de passer vos vacances, l’Allemagne vous collera aux basques. Et de préférence, le pire du pire de l’Allemagne, sinon ce ne serait pas drôle. «Non mais il divague complètement, le malheureux. Le soleil mexicain lui a trop tapé sur la tête ou alors il a abusé de mezcal, ou les deux», dites-vous, sceptiques. Que nenni, j’ai encore toute ma tête. Les preuves de ce que j’avance sont nombreuses. Et accablantes.

Buenos Aires, mai 1960. Isser Harel, citoyen israélien sans histoire, effectue un séjour linguistique sur les rives du Río de la Plata et profite, depuis quelques semaines, de la douceur de vivre incomparable du «Paris de l’Amérique du Sud». Mais la malédiction ne tarde pas à frapper : un soir, entre deux cours de tango, le voilà qui tombe nez à nez avec un expatrié teuton qui n’est autre qu’Adolf Eichmann, le fuyard SS le plus activement recherché à l’époque ! Heureusement pour lui, M. Harel était également chef d’un commando du Mossad, et son équipe d’agents secrets n’était pas loin derrière. L’affreux nazi est promptement maîtrisé, capturé, et envoyé incognito en Israël. Bref, vous voyez un peu le topo : pas moyen de se prélasser en Argentine sans tomber sur des fadas du Führer toutes les cinq minutes. Peut-être la malédiction est-elle plus féroce en Argentine et ses effets se font-ils moins fortement sentir ailleurs, direz-vous. Pas si sûr.

Parral (centre du Chili), décembre 2010. Glen Recourt, journaliste, savoure la douceur de l’été austral dans un coin paradisiaque et paumé du Chili, et fait une halte dans un grand domaine verdoyant, la Villa Baviera. Pas de chance pour lui, ce lieu enchanteur fut le cadre de toutes sortes d’horreurs commises à l’abri des regards, dans une secte fondée par des émigrés allemands pas nets du tout après la guerre, la tristement célèbre Colonia Dignidad. Société néo-nazie, culte sectaire, pédophilie, eugénisme, maltraitances diverses, tortures sous Pinochet... tous les crimes du XXème siècle y ont été commis. Qui sait ce qui s’est passé dans la coquette chambre où vous y êtes hébergé ? Bref, vous commencez à saisir. Flippant hein ? Peut-être les mauvaises ondes teutonnes se concentrent-elles dans l’hémisphère Sud, et le climat est-il moins délétère au nord de l’Équateur, vous entends-je suggérer. Peut-être, mais rien n’est moins sûr.

Mexique, septembre 2011. Un blogueur berlinois crapahute gaiement dans les montagnes du sud du pays, avec pour seuls compagnons son fidèle Lonely Planet, quelques touristes rencontrés au hasard de ses pérégrinitudes, et une douzaine de millions de moustiques. Les journées sont intenses mais éreintantes. Les nuits sont courtes, chaudes, moites, et pas les plus reposantes qui soient. Le matin, pour s’extraire plus facilement du lit et attaquer le programme de la journée, il allume la télé en appuyant machinalement sur la télécommande, et est violemment tiré de sa somnolence par un hurlement féminin aboyé dans la langue de Goethe. «Auf Wiedersehen!», entend-il beugler dans ses tympans, avant qu’un rire d’Érinye propre à glacer le sang ne monte en saccades démentes du poste cathodique. Enfer et damnation ! Passé le premier réflexe de s’enfouir précipitamment sous les couvertures, il jette un œil craintif et incertain vers l’écran, et ce qu’il y voit confirme ses pire craintes. La voilà ! Pas de doute, c’est bien elle. Elle ne le laissera donc jamais en paix ! Certes, elle n’est ni Adolf Eichmann, ni Paul Schäfer, le gourou pédophile fondateur de la sinistre Colonia chilienne de triste mémoire. Mais l’aura maléfique qui se dégage de sa personne ne la place pas trèèèès loin de ces deux affreux criminels dont les fantômes hantent encore le continent. ELLE, si vous ne l’avez toujours pas deviné, c’est :

HEIDI KLUM ! Aaaaaaarghhh !

¡Caramba! La maldición alemana a encore frappé. Ainsi, j’ai été tiré du lit, dans la torpeur de l’aurore mexicaine, par un Auf Wiedersehen sadique que Heidi Klum adressait, son habituel rictus carnassier sur les lèvres, à une candidate malheureuse et éplorée de la 8ème saison de l’émission de télé-réalité américaine «Project Runway». Heidi Klum, c’est cette gorgone blonde qui, depuis qu’elle n’a plus sa place sur les catwalks, ayant atteint la date de péremption de 29 ans en vigueur dans la profession, se consacre corps et âme à son entreprise systématique de destruction physique et mentale de promotions entières d’adolescentes allemandes, jolies et naïvement impressionnables, qui cherchent à briller coûte que coûte et à se faire une place dans cette société du superflu et du paraître, dans l’émission Germany’s Next Top Model, que l’on pourrait tout aussi bien nommer Germany’s Next Fifty Devastated And Fucked-Up Anorexic Teenage Girls, mais ce serait un chouïa moins vendeur.

Heidi et la "socialite" Nicky Hilton
La comtesse Élisabeth Báthory, ça vous dit quelque chose ? C’est cette aristocrate hongroise diabolique qui, à la fin du XVIème siècle et au début du XVIIème, a fait capturer, assassiner et saigner à mort des centaines de paysannes slovaques sur son domaine, persuadée qu’elle était que des bains réguliers dans le sang de vierges lui permettraient de rester éternellement jeune et belle. Ses aimables expérimentations ont alimenté une abondante littérature, dont le film allemand Die Gräfin (La Comtesse), sorti il y a un an ou deux. Ah, les produits de beauté, c’était mieux avant ! Quatre siècles ont passé, les mœurs ont tout de même un peu évolué, et essorer des paysannes vierges, même Slovaques, pour se baigner dans leur sang, ce n’est plus très bien vu en société. Heidi Klum a trouvé une parade astucieuse : humilier cruellement des dizaines d’ados allemandes chaque semaine jusqu’à ce qu’elles pleurent toutes les larmes de leurs corps, recueillir secrètement toutes ces larmes et en faire des bains chauds et bouillonnants dans son jacuzzi de Blankenese, la banlieue jet-set boisée de Hambourg. Voilà enfin révélé le secret de sa beauté ensorcelante.

C'est marrant, elle a presque un air de Julia Roberts ici
Bref, à 10.000 km du premier poste de télé susceptible de recevoir la chaîne Pro-Sieben, la surprise et la consternation sont donc de taille à la vue de cette crinière blonde familière et de ces pommettes saillantes reconnaissables entre toutes. Pourtant, cela fait déjà des années que Heidi éconduit des aspirants stylistes malheureux de son Auf Wiedersehen glacial sur les chaînes américaines. Ici, il n’est plus question de pousser des adolescentes confuses à l’anorexie, mais de faire le tri entre des créateurs de mode avides de reconnaissance et de célébrité, jusqu’à désigner le Grand Vainqueur, qui triomphera d’un certain nombre d’épreuves passionnantes comme, dans l’épisode d’aujourd’hui, dessiner une robe pour Mademoiselle Sœurette, la «socialite» Nicky Hilton, afin que ce soir elle soit la plus belle-eu pour aller danser-hé-é-é. (si j’ai bien compris, le terme anglais socheulaïte n’a rien à voir avec la politique, en revanche il rime joliment avec parasaïte, allez savoir s’il y a un lien).

Scoop ! Heidi est enceinte ! A-t-elle des envies de
fraises lorsqu'elle envoie son Auf Wiedersehen ravageur?
Hélas, dans la mode comme pour le Salut, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’Élus, disais-je tout récemment, à titre étrangement prémonitoire. À chaque épisode, diffusé au Mexique sur la chaîne E!, deux Auf Wiedersehen cruels ponctuent l’émission dès lors qu’un(e) candidat(e) est éliminé(e). L’injonction est suivie d’un rire sardonique qui résonne plusieurs secondes, pendant lesquelles Heidi actionne un levier qui ouvre une trappe sous les pieds du candidat malchanceux. Celui-ci ou celle-ci est alors engouffré(e) et consumé(e) directement par les flammes de l’Enfer. À moins qu’il ne s’agisse du four crématoire portatif perso d’Heidi, allez savoir.

Auf Wiedersehen!

Pour  vous remercier d’avoir tenu jusqu’au bout, une ch’tite photo de la cathédrale Saint-Dominique d’Oaxaca.

Les nuits dorées d'Oaxaca

mardi 6 septembre 2011

Away From It All

Septembre est arrivé, l’été est fini sans s’être donné la peine de vraiment commencer, les collègues reviennent au boulot et comparent leur bronzage, les blogs que je lis reprennent lentement vie après deux mois de léthargie. Et moi, qui ai bossé tout l’été sans compter mes heures au bureau ni mes billets de blog (euh, en réalité, je les ai pas mal comptées, mes heures au bureau certains jours, oups j’avoue tout), je m’accorde une pause que j’estime bien méritée, puisque contrairement à mes amis qui ont déjà assuré leur descendance et la pérennité de l’espèce, je peux me permettre le luxe de partir hors saison. On ne dirait pas comme ça, mais la semaine dernière, je suis parti fort loin. 

Au départ d'Amsterdam, il reste encore 9400 km et
11 heures de vol avant d'arriver à bon port.
J’ai trouvé la force de finir mon article sur les affiches des partis d’extrême-droite, alors qu’il y avait 10.000 km de distance entre leur bave de crapauds haineux et moi, blanche colombe à réaction. Mais maintenant, je ne suis plus dans l’ambiance pour m’atteler aux nombreux autres billets en souffrance, et du coup je n’arrive plus du tout à parler de Berlin. C’est bien cela les vraies vacances : changer de décor pour de bon, à tel point que les mots que je tente d’employer pour parler d’Allemagne me semblent creux et approximatifs. Les impressions sont trop lointaines, les réalités du quotidien que j’ai quitté il y a seulement cinq jours, bien trop floues déjà. Par conséquent, il vaut mieux laisser tout cela en jachère et me concentrer sur mon voyage, plutôt que de m’efforcer à écrire des choses médiocres sur Berlin alors que je n’ai tout simplement pas la tête à cela.

Si j’arrive à raconter mon voyage, ce sera tant mieux. Mais je ne suis pas sûr d’avoir le temps, ni une bonne connexion dans les jours qui viennent. Au pire des cas, je serai de retour sur le Net dans une douzaine de jours pour de nouvelles chroniques !

Bonne rentrée à toutes, chères Lectrices, et à vous aussi, chers Lecteurs. Certains lecteurs se sont plaints de ma curieuse manie de toujours m’adresser aux Lectrices. Cette habitude est partie de , si vous n’aviez pas suivi. Désolé :-)

(Ouh un smiley, c’est maaaaaaal ! Mais je m’en fous, je suis en vacances).

Ah, et pour finir, bon premier anniversaire aux Chroniques Berliniquaises tout de même, au fait...

À très bientôt !


Quelques 11 heures plus tard, un sympathique petit village apparaît sous nos yeux, lorsque l'on a franchi la couche de nuages
Au moins la météo ne me dépayse pas trop de Berlin, dans cette insignifiante petite bourgade...


J'avoue, en fait je suis venu me ressourcer à Paris !
Sympas les platanes qu'ils ont replantés au boulevard St-Michel ! Ça donne un air tropical malgré le temps couvert...

vendredi 2 septembre 2011

Une bonne dose de haine dans ce monde de bisounours !

Chic ! Youpi ! Hourra ! La saison des élections a enfin commencé à Berlin ! Le 18 septembre, la ville-État élira son maire, qui porte le titre officiel éminemment belgophile de «Bourgmestre-gouverneur» du Land fédéré. Sans métendre sur les détails rébarbatifs, et Dieu sait quil y en a, Allemagne oblige, j’en viens à l’essentiel : quel bonheur, ces milliers daffiches toutes pourrites qui ont fleuri par monts et par vaux ces dernières semaines, le long des rues, des trottoirs et des canaux, sur tous les réverbères et autres supports verticaux idoines que compte la cité prussienne. Aïe, mes yeux! Ouille, mes aïeux! Fidèles à eux-mêmes, les Teutons nont pas fait dans la dentelle cette année. Certes, on peut s’émouvoir de l’absence des postérieurs à tatouages rebelles ou des décolletés obscènes de quinquagénaires ménopausées qui avaient tant fait jaser lors des législatives de 2009 et agréablement pimenté des débats sinon plutôt raplaplas, quoiqu’aux dépens de la crédibilité de la gent féminine en politique. Cependant, il faut bien que les communicants se renouvellent de temps en temps, sinon gare. Et après tout, bien que les affiches millésime 2011 semblent s’être assagies et évoquent moins une campagne publicitaire de Hot Vidéo Spécial Femmes Mûres qu’à l’accoutumée, ne vous mettez pas martel en tête: il y a tout de même du gros niveau cette année.

"Nous sommes le Peuple!" s'époumonne bruyamment la
Nationaldemokratische Partei Deutschlands
Pour ce tout premier billet consacré aux élections (et selon toute vraisemblance, le tout dernier aussi), je voudrais vous guider à travers mes affiches favorites dans la campagne actuelle : celles des partis de l’extrême-droite, populiste, natio-naliste, humoristique et xénophobe. Avec les partis extrémistes, nous sommes en permanence invités à prendre part à un voyage vers un monde de peur et de dangers imaginaires, et ça tombe bien : j’aime bien les voyages, même quand ça fait un peu peur.

À quoi reconnaît-on les affiches des partis du rejet de l’Autre en Allemagne ? Par leur exaltation de l’idéal aryen ? Par leur glorification de la Volksgemeinschaft spoliée de son Lebensraum ? Par leur surenchère de croix gammées ? Par leur rhétorique viscéralement antisémite ? Vous n’y êtes pas du tout. Tout ceci est interdit et passible de poursuites. Verboten und Grundgesetzwidrig (anticonstitutionnel). Les groupuscules qui tombent dans ce piège facile sont promptement dissous et interdits d’activité, leurs membres mis à l’index et couverts d’opprobre, parfois condamnés à de lourdes amendes. De nombreux partis et associations en ont fait les frais ces dernières décennies, et de nombreux forums internet continuent de se faire pincer: c’est donc une pente très glissante que peu se risquent à aborder ouvertement. Elle semble absente des campagnes de communication dans les rues de Berlin.

Au-dessus de la Friedrichstrasse comme ailleurs,
les affiches de la NPD atteignent la stratosphère 
En fait, il y a un moyen très simple de repérer et d’identifier les affiches d’extrême-droite : il suffit de lever les yeux et le bras droit vers le ciel. Les affiches les plus haut perchées sur les lampadaires sont presque toujours celles des partis nationalistes. La raison à cette préférence pour les hauteurs, à plusieurs coudées au-dessus des miasmes de la populace impure et contaminée par les agents étrangers, est, à mon humble avis, que ces affiches sont régulièrement vandalisées ou carrément décrochées de leur piédestal par les anti-fascistes. Comme elles sont accrochées haut, cela complique d’autant la tâche aux empêcheurs de haïr en rond. Une autre interprétation plausible est que plus les idées d’un parti volent bas, plus ses affiches sont suspendues haut dans le firmament, comme pour compenser et créer une illusion de supériorité à peu de frais. Une fois que vous avez pris le bon pli de regarder en permanence ce qui se passe à cinq mètres au-dessus du sol, et que vous maîtrisez l’art d’arpenter le pavé le nez en l’air tout en évitant les crottes sur le trottoir (précaution facultative mais vivement recommandée), vous êtes fin prêts pour débuter l’exploration méthodique.

Tout à droite de l’échiquier politique, trois partis nationalistes se tirent la bourre et flattent les plus bas instincts des électeurs de la capitale, au nombre desquels votre dévoué chroniqueur n’est pas peu fier de se compter. Dernier venu dans le paysage, le parti Die Freiheit («La Liberté») a été fondé fin 2010 par un politicaillon est-berlinois en mal de reconnaissance, s’inspirant des percées électorales des populistes européens et du succès commercial de l’opus xénophobe de Thilo Sarrazin paru à la même époque, comme je vous le disais déjà récemment. Le nom même du parti reflète cette émulation, puisqu’il évoque sans faux-semblants le Partij voor Vrijheid de l’épouvantail peroxydé Geert Wilders, son modèle néerlandais. Pour sa toute première échéance électorale, d’aucuns espéraient une campagne choc, une surenchère de provocations et de slogans haineux et dérangeants afin d’exister dans cet environnement bien encombré. Hélas, entre les discours timorés du parti et le visuel très pauvre des affiches, qui nous assomment plus d’ennui que de peur, l’électeur xénophobe qui sommeille en chacun de nous reste sur sa faim. Je prédis à Herr Stadtkewitz une défaite cuisante le 18 septembre. Ça lui apprendra à manquer d’audace et à être si peu photogénique. Bouh le gros naze même pas beau.

"Notre culture dominante - L'intégration est une dette importée"
OK, on en prend bonne note. Mais encore?
"Un métro sûr - Pour vous permettre de bien rentrer chez vous."
Mazette, ça décoiffe !

Un peu plus ancienne dans le milieu, et déjà nettement plus aguerrie aux méthodes de provocation et aux discours de haine et de rejet sans ambages, la Bürgerbewegung pro Deutschland («Mouvement des Burgers pros en Allemagne»), fondée à Cologne en 2005, est désormais reconnaissable entre tous par son logo représentant une mosquée barrée depuis l’époque où elle n’était qu’un petit parti régional qui s’appelait Pro Köln. Enfin, comme vous verrez plus bas, on n’est plus très sûr qu’il s’agisse vraiment d’une mosquée... Étant donné que les thèmes abordés sont absolument classiques et sans aucune originalité («non aux immigrés, non à la délinquance, et d’ailleurs il y a une corrélation indiscutable entre les deux, n’est-ce pas»), ce qui compte c’est de mettre le paquet sur la forme pour rendre audible un message sans cesse rebattu et plus vraiment nouveau.

Sur la prestigieuse avenue Unter den Linden, le mouvement des Burgers nous appelle
à aller "voter pour les thèses de Thilo". Thilo? Mais qui est ce Thilo? 
Les Burgers ont la trouille: "Capitale de la peur? Pas avec nous!"
Oui, j'ai peur qu'on me vole mon vélo. Faisez quequ'chose messieurs les Burgers !
À part ça, des idées contre le chômage? Non? Quelle surprise!
Thilo Sarrazin a beau ne pas porter les musulmans dans son coeur, il a protesté énergiquement lorsque le parti d'extrême droite a eu l'outrecuidance de rendre hommage à son best-seller xénophobe. Sacré Thilo! Pourtant, rien ne disait qu'il s'agissait de lui! Néanmoins, le Mouvement des Burgers Apeurés n'a pas eu d'autre choix que de modifier à l'arrache ses affiches. "Votez pour des thèses censurées", c'est intéressant... Mein Kampf aussi est "censuré" en Allemagne.
Alors, mosquée ou pas mosquée? J'ai l'impression funeste que le Mouvement des
Burgers veut démolir  l'Oberbaumbrücke! Au secours!
Pour finir, mon affiche préférée du Mouvement des Burgers, sur la Landsberger Allee.
"Nos femmes sont libres!" Messieurs les Burgers, "nos" femmes vous remercient!
Et sinon, des propositions pour l'éducation? Toujours pas? Quel dommage...

Vainqueur incontesté de cette guerre des mots et des images sur les rives de la Spree, la Nationaldemokratische Partei Deutschlands, doyenne de l’extrême-droite allemande et grande recycleuse de nazis (les vrais hein, pas les «néos») dès sa création en RFA en 1964, n’est pas étrangère aux stratégies de provocation si outrancières qu’elles suscitent immédiatement le malaise et lui attirent des déluges de critiques qu’elle exploite sans vergogne. Lorsque l’exaspération atteint son paroxysme, il se trouve toujours un groupe de parlementaires qui proposent de faire interdire la NPD, bien que toutes les tentatives antérieures se soient systématiquement soldées par autant d’échecs. Ces fiascos ne font, malheureusement, que renforcer le parti, conforté dans son image de paria muselé par l’establishment. Cela ne vous rappelle rien? Délibérément choquants et ouvertement racistes, les slogans ont une tonalité agressive: il n’y est question que de «punir» les ennemis désignés (politiciens, pédophiles et criminels) et d’«expulser» les indésirables: les étrangers, les criminels (qui vont de pair) et la monnaie unique. C’est d’une simplicité enfantine. On attend encore les propositions de la NPD pour l’éducation, pour l’emploi, pour l’urbanisme, pour la culture... et quelque chose me dit qu’on risque d’attendre longtemps! En attendant, sur ses thèmes favoris, le parti néo-nazi a multiplié les attaques.

Première salve: Udo Voigt, le président du Parti nationaliste, est photographié en rebelle sur sa moto, blouson en cuir sur le dos, exsudant la virilité et la testostérone. “Gas geben!” nous dit-il, une expression gentillette et inoffensive qui se traduit normalement par «Accélérons», et qui a déjà été utilisée dans des campagnes publicitaires tout à fait différentes. L’ennui, c’est que dans la bouche des héritiers du nazisme, il est difficile de ne pas adopter une lecture plus littérale de ce «à plein gaz». Il n’en fallait donc pas plus pour susciter une nouvelle polémique. Personne n’est dupe de l’innocence feinte par le parti et quant à ses intentions, mais il est impossible de prouver quoi que ce soit sur ce cas précis. La NPD a su, une fois de plus, s’attirer les critiques pour mieux se poser en victime. La technique est sacrément bien rodée.

"Gas geben", en pleine Friedrichstrasse
Quelques aimables vociférations de la NPD sur le thème «Tous en taule!» Cela se passe de commentaires.

"Une GIFLE pour les grands pontes de la politique!" à Hallesches Tor

"Défendez-vous!" exhorte la boxeuse teutonne à casquette.
L'affiche vandalisée dit sobrement Deutsche KINDER braucht das Land,
"Notre pays a besoin d'enfants allemands"...

La SÉCURITÉ par le DROIT et L'ORDRE (nouveau?)
"PEINE MAXIMALE pour les pédophiles!"
Je suppose que cela n'est applicable que si la victime est un "enfant allemand", bien entendu...


"SANCTIONNEZ les saloperies des politiciens!"


Il est faux de dire que la NPD ne propose rien en matière économique. Elle a fait des propositions solides, audacieuses et novatrices pour soutenir la croissance allemande, et en voici les plus hardies:

"Notre TRAVAIL, notre ARGENT - Quittons l'Euro!"
"Oui au TRAVAIL, non à la PAUVRETÉ"
Fallait y penser!
Mais la NPD ne serait que l’ombre d’elle-même si elle ne ne réservait pas ses attaques les plus cinglantes contre les «étrangers», qu’elle définit à sa manière, selon le critère racial cher aux national-socialistes: est étranger qui n’est pas de «sang» allemand, quand bien même il serait né allemand ou aurait acquis la nationalité. Une telle définition exclut automatiquement près de la moitié de la Nationalmannschaft. Trêve de blabla, passons aux images.

Soziale Sicherheit statt Multikulti!
"La sécurité sociale plutôt que le multiculturalisme!"
"Bon retour au bercail et bon vent!" Une invitation au voyage, vous disais-je!
Une autre invitation au voyage: "Rentrez chez vous!"
Et pour finir en beauté, voici, de très loin, mon affiche préférée de la NPD, et de toutes celles-ci dessus. Je l’ai aperçue dimanche dernier à Treptower Park, en un exemplaire unique que je n’ai revu nulle part, et j’en suis restée bouche bée! Ça donne quoi quand les néo-nazis insultent les étrangers ou les citoyens allemands d’origine étrangère en faisant des rimes? Eh bien cela donne une perle collector du genre:

Si Ali
Commet un délit:
On l’renvoie au pays
Sans chichis!”

Magnifique! La version allemande est d’ailleurs nettement plus jolie. Avec un tel talent, on est presque attristé de savoir que ces partis extrémistes récolteront à peine 3 ou 4% des voix. Leurs membres devraient peut-être laisser tomber la politique et se lancer dans des carrières d’«humoristes», à la Eric Zemmour? Ce n’est qu’une idée, bien sûr.

Vous avez dit raciste ? Mais jamais de la vie, voyons !
La bien-pensance, y'en a ras l'bol !
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