dimanche 31 juillet 2011

Das große Kompliment – ou pas

Bäckerin: “Hallöchen.”
Ich: “Hallo, ich möchte bitte ein Weltmeisterbrötchen und ein Kürbiskernbrötchen.”
Bäckerin: “Das war aber sehr schön gesagt!”
Ich: “Echt? Danke!”
Bäckerin: “Bitteschön.”

Weltmeisterbrötchen et Kurbiskernbrötchen
Traduction de ce petit dialogue, au bénéfice de mes Lectrices qui luttent encore avec la langue de Goethe, malgré leur QI que je sais phénoménal.

La Boulangère: «Bonjour.»
Moi: «Bonjour, je voudrais s’il vous plaît un Weltmeisterbrötchen et un Kürbiskernbrötchen.»
La Boulangère: «Mais c’était très bien prononcé tout ça!»
Moi: «Vraiment? Merci alors.»
La Boulangère: «Mais je vous en prie.»

Et un service avec le sourire, en prime.

YES!!! Trois ans, il a fallu trois ans pour que ce moment béni arrive. Entre-temps, que d’échecs et de moments de solitude et de découragement, de moqueries sadiques et de malentendus débiles. Et il est vrai que la tâche n’est pas aisée à la boulangerie, les redoutables Bäckerinnen étant d’expérience les commerçantes les plus enclines à se gausser méchamment de ma chancelante diction. Il faut dire que, vu les noms tordus qu’elles donnent en général à leur marchandise, il y a de quoi suer à grosses gouttes avant de se risquer à prononcer ces vocables torturés qui s’écrivent toujours en quatorze lettres minimum. Et là, ne voilà-t-il pas que je me présente tranquillement, complètement enrhubé à cause de ce temps pourri qui sévit sans trêve depuis des semaines, et je me fais encenser...


Affreuses contrefaçons de bière - l'Allemand est formel:
en Belgique, on ne boit que du jus de houblon.
En fait, c’est un précepte tout particulier auquel obéit la confrérie des Boulangers Teutons: «À ton pain un nom à coucher dehors tu donneras, et le client français impitoyablement tu humilieras», une règle d’or que respectent scrupuleusement des générations de Bäcker. Le commandement est tout aussi imprescriptible que le fameux «Édit de Pureté de la race bière», ce Reinheitsgebot avec lequel les Allemands nous rebattent copieusement les oreilles depuis 1516 et qui a gravé dans le marbre les règles invariables de la brasserie germanique. Pour les Teutons, en-dehors du Reinheitsgebot, point de salut. Ainsi, la bière belge, par exemple, ne mérite même pas ce nom, car elle contient des trucs interdits comme, juste Ciel... du blé ou du sucre, ou de la levure ajoutée. Bah! La petite histoire continue ainsi: un an après la promulgation de ce fameux Édit de pureté de la race, un “indignado du nom de Martin Luther, courroucé contre la bière de contrebande et contre la mauvaise gouvernance (pour causer moderne) dans l’Église catholique, lançait la Réforme protestante. Un petit détail méconnu de ce grand chamboulement politico-religieux est que le fourbe hérétique, emporté dans son zèle, est allé rajouter en douce une ligne à la prière de Notre Père dans la nouvelle version traduite par ses soins dans la langue du peuple. La manœuvre fut fort subtile, et personne n’y a vu que du feu pendant un long moment. Ainsi, depuis près dun demi-millénaire, les Allemands protestants prient ainsi:


«Notre Père, qui es aux Cieux
[...]
Donne nous aujourdhui notre pain de ce jour
Et aux papistes, donne-leur des pains dans la gueule,
[...]
Amen.»

Les boulangers prussiens ont donc toujours été en première ligne pour démoraliser les ouailles papistes subversives, et en particulier parmi celles-ci, les blogueurs français. Voilà tout le contexte historique et culturel de l’histoire. Fin de la petite digression historique.

Sitôt rentré, je suis allé mander mon voisin Marco (*) pour lui conter, triomphal, l’heureuse nouvelle qui me transportait véritablement d’allégresse.

«Elle ne t’a pas dit “très bien prononcé”, elle a dit très joliment prononcé”! rétorque-t-il d’un ton neutre, l’air de dire cut the crap, man.
– Comment ça?
– Oui, très joli, très mignon, elle a trouvé que ton accent français est très süß, normal quoi.
– Non, tu rigoles?
– Tu crois vraiment que la boulangère t’a félicité pour ta prononciation correcte de Weltmeisterbrötchen? Non mais n’importe quoi. Tu fumes un peu, non?
– Mais, mais... [trémolos] elle a dit... elle a dit... sehr schön, c’est pas rien!
– Attends, redis Weltmeisterbrötchen et Kürbiskernbrötchen pour voir?
Ich möchte bitte ein Weltmeisterbrötchen und ein Kürbiskernbrötchen.
– LOL! Non, t’inquiète, t’es encore très mauvais.
– Cette langue de marde, diantrefoutre!!!»

Bon, au moins j’y aurai cru pendant une petite heure...

(*) Prénom modifié

mardi 26 juillet 2011

Beauté de Berlin : Sous les nuages, la plage

Un panorama estival: Warschauer Straße, le 25 juillet
Vous l’aurez compris, chères Lectrices: cette année, le Soleil est parti en vacances loin de Berlin. Et pourquoi pas après tout? Il a pris sa carte au Deutscher Gewerkschaftsbund (la CGT allemande, en gros) et a gagné le droit de prendre ses congés payés, comme n’importe quel travailleur. Il vit avec son temps, l’astre diurne. On peut avoir 10 milliards d’années et être au fait des derniers acquis sociaux, non mais c’est vrai quoi à la fin. Dix milliards d’années qu’il trime sans relâche, cinq milliards d’années qu’il luit de toutes ses forces pour le bien égoïste notre petite Terre, qu’il la couve sans relâche et la bichonne sans compter ses heures ni ses ères, négligeant scandaleusement Uranus, Neptune et Pluton dans les lointains glacés du système solaire. À force, il frôlait le burn-out notre brave Soleil, et a bien mérité quelques semaines de repos réparateur avec son amour de toujours, l’étoile Proxima du Centaure, une grande sulfureuse au regard de braise.

Bon, espérons tout de même qu’il ne prendra pas tous ses arriérés de congés d’un coup, sinon on n’est pas dans la mouise, nous autres, en Prusse. En attendant, nous voilà abandonnés sous une épaisse couche de nuages perpétuellement gris et menaçants, sous un ciel bas et lourd, qui pèse comme un couvercle sur nos esprits gémissants. La tentation est grande de se blottir devant une cheminée, mais ce serait mal connaître les Berlinois, dont votre dévoué chroniqueur, que de croire qu’ils se laissent abattre par si peu et renoncent à leurs activités estivales sous prétexte qu’il fait 14°C à l’ombre (sachant qu’il n’y a que ça, de l’ombre). Certes, nous avons laissé tombé les baignades au Schlachtensee ou au Badeschiff en attendant des jours meilleurs, mais sur le front du beachvolley, nous ne lâchons rien! Les jours où il ne pleut pas des hallebardes et où il ne vente pas à écorner les bœufs, ce qui nous laisse à peu près deux jours et demi par semaine, les terrains ensablés du Beach Mitte font le plein de sportifs qui viennent taper dans la baballe et s’engourdir les orteils dans le sable froid et humide qui n’a jamais le temps de sécher complètement, ni même partiellement, entre deux déluges. Qu’à cela ne tienne, sans les dilettantes qui ne jouent (et ne friment, surtout) que par beau temps, le niveau n’est que meilleur.

Une scène de jeu à Beach Mitte sous un ciel menaçant, le 24 juillet.

Pendant le jeu, l’on scrute anxieusement les nuages toutes les 5 ou 10 minutes, et l’on tente d’interpréter leurs formes changeantes et leurs ombres plus ou moins intenses comme la charlatane lisant le marc de café. C’est fascinant toutes ces nuances de gris. Pleuvra? Pleuvra pas? Serons-nous encore secs dans une heure? Parfois, la chance est de notre côté, parfois non, et une averse disperse le dernier carré d’irréductibles, car la balle mouillée et glissante, c’est niet. Comme tout le monde, j’aime l’été, le soleil, la chaleur, les ciels bleus et tout ce que l’on peut faire à Berlin pour profiter du beau temps. Mais je trouve aussi que ces ciels gris vont particulièrement bien à notre métropole teutonne, ils renforcent sa beauté âpre et rugueuse. Pour l’instant, je m’accommode plutôt bien de l’absence prolongée du soleil, même si cela devient usant de devoir expliquer à des touristes grelottants que non, ceci n’est pas un été normal, non, 12°C n’est pas une température estivale même pour Berlin, et oui, nous aussi souhaiterions qu’il fasse meilleur mais devons faire avec faute de mieux. Allez, Soleil, sois sympa: prends plutôt tes congés en hiver, ou sinon, viens au moins passer tes vacances d’été à Berlin au lieu de nous déserter comme ça...

À l'instar du Mauerpark, Beach Mitte occupe un terrain vague de sinistre mémoire: jusqu'en 1989, cet endroit était en faite le Todesstreifen, le no-man's land entre les deux enceintes du mur de Berlin. Aujourd'hui encore, les constructions vont bon train sur cet espace resté longtemps en friche.

Une singulière construction domine le terrain de Beach Mitte (à part les grues): un parcours
d'acro-branches de type "urbain" fait le bonheur des familles qui n'ont pas froid aux yeux

lundi 25 juillet 2011

Un brin de légèreté ne faisant jamais de mal....

Quelle affreuse litanie de mauvaises nouvelles en ce dimanche soir! Dabord, cest dimanche soir, ce qui en soi est déjà une nouvelle suffisamment mauvaise. Il y a l’été qui reste aux abonnés absents. Il y a l’entrée dAmy Winehouse au «club des 27» (pile le nombre de membres de l’UE! c’est mauvais signe pour la pérennité de l’Union), et ces événements tragiques et incompréhensibles qui me bouleversent, dans d’autres pays, et que je préfère ne pas mentionner ici...

Pour détendre latmosphère, en attendant que je prenne le temps de finir les billets en cours de préparation, trois petites blagounettes allemandes. Attention, éclat de rire pas garanti, mais il est bon d’explorer parfois l’humour teuton, ce grand incompris. Et puis si ces aimables plaisanteries parviennent à vous arracher un sourire ce lundi, ce sera déjà une bonne chose:

Treffen sich Willy Brandt und Walter Ulbricht.
Willy Brandt: “Mensch, Walter, ich hab’ ein neues Hobby. Ich sammle Witze, die die Leute über mich erzählen”.
Walter Ulbrich: “Ach so? Echt? Nee! Ich mach’ fast das Gleiche: Ich sammle Leute, die Witze über mich erzählen!”

Willy Brandt (ancien chancelier de la RFA) et Walter Ulbricht (ancien chef dÉtat de la RDA) se rencontrent.
Brandt : «Hé, Walter, tu sais quoi? J’ai un nouveau hobby: je collectionne les blagues que les gens racontent sur moi.»
Ulbricht : «Pas possible! Trop fort! Je fais exactement la même chose: je collectionne les gens qui racontent des blagues sur moi!»

Eine Frau gibt eine Anzeige auf: “Suche Mann mit Pferdeschwanz. Frisur egal”.

Une femme passe une annonce dans le journal : «Cherche homme à queue de cheval. Coiffure sans importance». Le jeu de mots fonctionne à merveille dans les deux langues...

Kommt ’ne Frau beim Arzt.

«Une femme vient chez le médecin»: la blague la plus courte du monde, sans doute. Comprenne qui pourra! “Kommt ne Frau beim Arzt, Humor in der Krise”, cest aussi le thème d'une émission qui passe actuellement à la ZDF. Cette petite blague de quatre mots est un classique!


Farewell, Amy :-( So young, so beautiful, so talented.

samedi 23 juillet 2011

Il choit de l’urine bovine céleste

Farpaitement, chères Lectrices, il choit de l’urine bovine céleste. C’est l’expression à employer absolument pour ne pas passer pour un rustre lors d’un dîner avec la bonne société versaillaise ou clodoaldienne, ou lorsque lon écrit un blog trop prétentieux pour dire, comme le commun des mortels, «il pleut comme vache qui pisse».

Vision d'horreur à ma fenêtre:
le premier signe de l'automne
OK je parle un peu souvent de la météo et de cet été pluvieux, mais tout de même: ce soir je suis sorti en portant une écharpe, un pull en laine et un caban épais, et pourtant je n’avais même pas chaud avec toutes ces couches superposées, un 22 juillet. Ah, et avec un parapluie aussi, bien sûr! Il y a quelque chose de pourri dans notre été berlinois. Dans la cour intérieure de mon immeuble, le vénérable marronnier, haut comme les cinq étages du bâtiment, se pare déjà de ses plus belles couleurs dautomne, ce qui, ajouté à la grisaille ambiante, donne cette impression funeste que lété est déjà derrière nous... On veut croire que ce nest quune impression!

Et pour couronner le tout, les contrôleurs de la BVG font maintenant des descentes dans le S-Bahn à 2 heures du matin, verbalisant à la chaîne. Bien que dhabitude je naie aucune sympathie particulière pour les resquilleurs, que les Allemands appellent joliment les Schwarzfahrer (les «voyageurs au noir» ou, si on a l’âme poétique, les «voyageurs noirs», un statut que je pourrais donc revendiquer avec fierté), ce soir je nai pu mempêcher de compatir à la déveine de ceux et celles qui rentraient tranquillement chez eux, trempés,  grelottants et fatigués, et se sont faits pincer comme ça, en traître, à cette heure tardive. Il devrait y avoir une amnistie au-delà dune certaine heure et par un temps aussi pourri... Caroline, ça va un peu mieux ta «Berlinalgie», jespère?

Allez, cest le weekend malgré tout, on fera au mieux avec. Bonne nuit chères Lectrices ! Puissiez-vous avoir un peu plus de soleil et de chaleur estivale chez vous, contrairement à nous !

Contrôles dans le S-Bahn à 2h du matin! Frechheit!
Tiens, c'est flou: est-ce que ça secouait trop ou bien je ne tenais plus droit?

jeudi 21 juillet 2011

“Sarrazin déwò!”

Décembre 1987. Par un dimanche chaud et ensoleillé, comme il se doit en Martinique, un enfant de six ans voudrait bien passer la journée à samuser avec son petit frère, à jouer pendant des heures avec ses figurines articulées des Chevaliers du Zodiaque comme tous les morveux de son âge et à se réjouir de larrivée prochaine de Noël. Pourquoi pas, tant qu’on y est, faire ses devoirs aussi, tiens? Au lieu de cela, il s’ennuie ferme sur une satanée piste d’aéroport. Quelle journée pourrie! Oh, pourtant il s’en passe, des choses. La piste est noire de monde; il y a des tambours, de la musique. Mais les chants sont plutôt monotones. Il est question de «fachis», de «rasis» et de «kolonyalis». À six ans, l’enfant est peut-être encore un peu jeune pour connaître la signification exacte de ces termes, mais en Martinique, on apprend bien assez tôt qu’ils ne veulent rien dire de bon, surtout les deux derniers. Et les hommes qui chantent et agitent des pancartes, transpirant sous leurs casquettes ou leurs chapeaux bakouas traditionnels, n’ont d’ailleurs pas tous l’air de bonne humeur. Le supplice s’éternise. Mais quelle sale journée!

«Papa, qu’est-ce qu’on fait là?
– On est venu accueillir Le Pen.
– Quel prêtre? Où il est?
– Le Pen, chéri. Il est dans lavion.»

Pour la première fois de ma vie, j’entendais parler de Jean-Marie Le Pen. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nan j’déconne. Je ne me rappelle plus grand chose de cette effroyable journée, à part la foule, la chaleur, le tarmac brûlant sous le soleil, la soif, l’ennui, cet avion qui faisait des tours dans le ciel, les slogans que je ne comprenais pas bien, et ce trait d’humour de mes parents que j’avais encore moins pigé que tout le reste: «Mais si on veut accueillir le Peigne, pourquoi on bloque l’aéoport?» C’est débile un enfant parfois...

Dans le monde des adultes, en cette toute fin d’année 1987, la campagne présidentielle fait rage, et le leader frontiste se rend en personne aux Antilles prêcher la bonne parole xénophobe qui a fait de lui une star en «Métropole», une lointaine contrée située à mi-distance entre le Groenland et la Sibérie, et au climat identique. L’habile tribun de l’inégalité des races avait vraiment mal calculé son coup cette fois-ci: les Martiniquais l’attendent de pied ferme. Convoqués par les partis indépendantistes, des centaines (peut-être des milliers, voire des millions) de personnes envahissent le petit aéroport du Lamentin et défilent sur la piste pendant ce qui m’a semblé durer des heures. Grâce à l’inaction des forces de l’ordre, qui ont pris le parti prudent de ne pas se ranger du côté de l’affreux «rasis kolonyalis», l’opération est un succès total. Après plusieurs tours impuissants dans le ciel (disons, entre quatre et deux-cent-soixante-quinze rotations), le Boeing 747, vaincu, finit par se détourner vers la Guadeloupe voisine, emportant avec lui sa cargaison de haine, dont nous entendions les imprécations et vociférations jusque sur la piste. Là, la légende dit que les Guadeloupéens ont réussi à se mobiliser pendant la demi-heure de vol qui les sépare de l’île sœur et à empêcher l’atterrissage de l’aéronef maudite sur leur sol sacré. J’avoue que je n’en sais trop rien, et il me semble tout de même peu probable que le gros n’avion ait eu assez de kérosène en réserve pour repartir, queue basse, vers Orly et sa froidure hivernale, sans se ravitailler sous nos cieux. La légende dit aussi que cette épopée aérienne a inspiré le scénario du film Die Hard 2 - 58 Minutes pour vivre, sorti trois ans plus tard. Cela me semble déjà carrément plus plausible. Mais ce qui est sûr et certain, c’est qu’en ce jour de 1987, les bonnes gens de Martinique ont défendu vaillamment leur île contre l’intrus, qui a dû aller se faire pendre ailleurs.

Le Pen a décliné un rôle de figuration dans le film
inspiré par sa mésaventure martiniquaise. Dommage.
Pourtant, au fond, personne ne peut accuser l’ancien leader frontiste de ne pas aimer les Antillais ou d’avoir tenu en public des propos désobligeants envers nous. Mais Le Pen se traînait suffisamment de casseroles et de «bons mots» pour que l’odeur de soufre le précède de loin et déclenche une réaction épidermique (c’est bien le cas de le dire) chez un peuple qui se veut français mais noir, non, français et noir, pas «mais».

Ainsi, l’on récolte ce que l’on a semé. C’est à peu près l’expérience, en nettement moins spectaculaire tout de même, qu’a faite cette semaine l’écrivaillon à succès et ancien politicien Thilo Sarrazin, une sorte de Georges Frêche prussien en moins drôle, comme je disais . Depuis longtemps déjà, ce n’était plus tout à fait un secret que Herr Sarrazin ne portait pas vraiment les étrangers dans son cœur, bien qu’il soit membre de la SPD, le parti social-démocrate allemand. Mais en ce jour de 2010 où il a publié l’ouvrage qu’il lèguera à la postérité, son Deutschland schafft sich ab, il a clairement dépassé les bornes. Il est vrai que l’on sort du légitime «Qui aime bien châtie bien» lorsque l’on accuse les immigrés musulmans et leur descendants de rendre la nation «idiote», même si une telle accusation vient au milieu d’autres constats bien plus défendables en toute objectivité.

Sarrazin sera obligé de se déguiser pour visiter
Kreuzberg dorénavant, conclut Der Postillon
Dimanche ou lundi (l’article de Spiegel ne le précise pas), l’ex-sénateur de Berlin, ex-administrateur de la Bundesbank, ex-politicien fréquentable, s’est fait jeter comme un vulgaire Le Pen d’un restaurant turc à Kreuzberg, sous les huées de la foule. «Sarrazin privé de kebab!», ironise l’article. Mon analyse personnelle est que les Deutschtürken kreuzbergois ont montré leur côté martiniquais (ce qui n’est pas qu’un compliment...), et s’ils savaient parler créole, ils auraient sûrement chanté «Sarrazin déwò» avec un tambour, ce qui sonne nettement mieux que «Sarrazin raus» à mon humble avis... Mais l’éconduit, diablement coriace, n’a pas tardé à tourner l’incident à son avantage, sans doute comme Le Pen a su le faire il y a bientôt 24 ans de cela. Se remettre en question? Jamais de la vie! «Un ancien sénateur de Berlin, à qui l’on ne reproche rien d’autre que d’avoir publié un livre contenant des statistiques et des analyses gênantes, se fait virer du quartier berlinois qui se prétend être le fer de lance de l’intégration allemande. Malheur à nous si les conditions qui prévalent à Kreuzberg devaient se généraliser à toute l’Allemagne!» vaticina alors d’une voix chevrotante, le nouveau millionnaire, enrichi des royalties de son brûlot.

Pauvre Sarrazin, si riche et si peu aimé. Mais si riche, hein. Tout comme Le Pen dailleurs. Moi aussi j’aime bien écrire des trucs. Et j’aimerais bien en devenir millionnaire en écrivant des trucs, comme Sarrazin. Et puis, sérieux, quand on est millionnaire, eh bien on s’en balance d’être privé de kebab dans les bouis-bouis de Kreuzberg... Mmmh. Je pourrais peut-être transformer les Chroniques Berliniquaises en blog d’extrême droite? Je m’y emploie tout de suite alors. Comme l’a dit Bernard Campan: «Rentrez chez vous les noirs et les bougnoules!»



mardi 19 juillet 2011

Mal aux poignets


Allons, allons, chères Vahinés à la peau tannée au soleil estival, qualliez-vous donc imaginer là ? Vous faites fausse route. Revenu à Berlin il y a 24 heures à peine, je m’étais promis de rentrer sagement à la maison ce soir afin d’écrire avec l’ardeur renouvelée du chevalier qui retrouve sa mie après de longues année à guerroyer contre les infidèles en Terre sainte.

Las, après une journée à en baver devant des tableaux Excel plus arides encore que les mornes plaines de Judée, j
’ai préféré m’en aller retrouver mes copains autour d’une bière rafraîchissante, et surtout, d’un Kicker. Ainsi nomme-t-on le baby-foot par ici, comme je vous le disais déjà il y a quelques semaines, car je radote de plus en plus. Comme nous autres les Français, les Allemands ont inventé de toutes pièces un anglicisme bancal pour désigner ce que les Anglais nomment prosaïquement table-football et les Américains, nettement plus germanophiles, “foosball”, et la boucle est bouclée...

La preuve par l'image.
Encore joyeux anniversaire, Stefan!
Alors voilà. Trois heures de Kicker plus tard, suivies de près d’une heure de vélo, j’ai les poignets meurtris. Mes potes berlinois m’ont bien fait rire: Stefan (*), qui a fêté son anniversaire pendant ma semaine bretonne, a reçu comme cadeau... des bandelettes souples en caoutchouc antidérapant, accompagnées d’une bande adhésive, dont l’unique fonction est de momifier les poignées du baby-foot et de permettre une meilleure préhension pendant le jeu. Le fin du fin? Elles sont même réutilisables! Oui, car vous comprenez, à force, on se fait mal aux mimines sur ces poignées toutes dures en plastoc. Stefan, comblé par ce cadeau providentiel, nous en a bien entendu fait profiter, ce qui nous a permis de jouer encore plus longtemps que d’habitude et de nous meurtrir les poignets, car pour les poignets, nous n’avons pas encore la parade. Ah, ces sacrés Allemands et leur pragmatisme à toute épreuve ! Du coup, pour mon prochain anniversaire, je me demande s’ils m’offriront une chouette ampoule E27 à basse consommation ou un antivol pour mon vélo. Ou alors une tringle à rideaux peut-être...

Je persifle, mais ils sont tout de même sympas mes potes, car quand je leur demande: «Dites, les gars, vous m’autorisez à photographier cette scène pour mon blog afin que je prouve à la face du monde que les Allemands ne sont vraiment pas des gens normaux?», ils disent oui sans hésiter... Je vais donc cesser de railler ce peuple d’incompris pour ce soir. 

Attention: l'abus d'Allemagne est dangereux
pour votre santé.
Alors que j’écrivais ces lignes, j’ai scotché devant une émission que je ne connaissais pas encore jusqu’à ce soir: “Puschel TV” est présentée sur la chaîne Das Erste par le Français Alfons (de son vrai nom, Emmanuel Peterfalvi), une sorte de Lagaf’en survêt’ orange qui régale le public teuton de son accent à couper à l’Opinel et de blagues à mourir de rire, comme par exemple: «Le dimanche, les Allemands lavent leur bagnole, les Français, leurs enfants, et les Suisses, leur argent», que je viens d’entendre en direct. Gloups. Hurlements de rire, public en délire, standing ovation. 

Tout compte fait, peut-être devrais-je prendre garde à ne pas trop m’intégrer à mon pays d’accueil? Le jour où vous me surprendrez à prononcer de si douteux aphorismes en public, chères Vahinés, soyez gentilles: prévenez l’ambassade et organisez mon rapatriement d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard et que je ne me mette à déclarer, comme cet impayable Alfons, que les Allemands ont «beaucoup plus d’humour» que les Français.

(*) Le prénom a été changé, comme d'hab.

mardi 12 juillet 2011

Dix-huit(res) meurtres de sang froid

Pierre (*) lostréiculteur morbihannais est formel: lhuître, si elle a été ouverte avec soin dune main experte, peut survivre un long moment au traumatisme de louverture de sa coquille. Dailleurs, si elle est encore assez petite et jeune (disons, jusquà un an et 3-4 centimètres de taille) et quon la replace rapidement dans leau, eh bien en labsence de crevettes, de prédateurs ou autres enquiquinements, elle reconstituera sans se laisser démonter, c’est le cas de le dire, la partie supérieure de sa coquille en moins de trois semaines ! Et sera à même de faire face, comme si de rien nétait, aux multiples péripéties et aux divers événements palpitants qui émaillent sa petite vie dhuître.

Une petite huître sacrifiée pour la science. Elle pourrait
reconstituer sa coquille. Mais n'aura pas cette chance...
Cest dire si la bébête pète la forme lorsquelle se retrouve dans notre assiette, surtout si elle n’a pas voyagé trop longuement depuis sa sortie du bain. Alors, bien sûr, nous le savions tous: il ny a dhuître fraîche que vivante. Bien que je n’en sois pas à mon coup d’essai, savoir l’huître à ce point gaillarde et insouciante, folâtrant gaiement, les cheveux au vent, dans sa modeste coquille devenue Mustang décapotable sur la Route 66, donne forcément un éclairage nouveau à la chose. Et il faut reconnaître que l’huître est joueuse: regardez un peu comme elle se rétracte, pliée de rire, lorsque vous l’effleurez de la pointe du couteau. Doù l’expression «se marrer comme une huître». Elle se gondole et rigole jusqu’aux larmes, ravie d’avoir trouvé un nouveau compagnon de jeu qui vient pimenter quelque peu son quotidien de mollusque. Ce n’est que lorsque la lame inquisitrice vient farfouiller plus avant sous les replis de son intimité qu’elle commence à se demander si ce jeu incommodant ne va pas un peu trop loin. Elle proteste et jure, un peu tard, qu’on ne l’y reprendra plus.


"Ave Chronicator, morituri te salutant (ridendo)", disent les huîtres en se poilant.
Pour les curieux, sur la table: huîtres du producteur (Morbihan), vin de producteur ami (pays de Blois), terrine de chevreuil (chassé et abattu par Pierre) et confiture de tomates vertes faites maisons par la mère de Pierre... et du beurre Président. Il y a tout de même des limites à la vie en autarcie.

Pierre l
’ostréiculteur est formel: l’huître rend l’âme pendant qu’on la décolle de sa coquille, le traumatisme étant trop fort, même si on y va en douceur. On obtient, en quelques secondes, ce qu’il appelle fort prosaïquement la «perte de sensibilité». Elle est donc vraiment raide morte quand on la met dans la bouche, Pierre ? Vous confirmez ? Pierre, la soixantaine, lève son regard bleu vers le lointain, fait une moue perplexe et hausse les épaules. Il ne s’est jamais vraiment posé la question et dans le fond, ce badinage ne l’intéresse guère. C’est à son tour de se marrer : l’huître a le rire communicatif. Dans la région, les participants se gavent dhuîtres à l’arrivée du semi-marathon dAuray-Vannes (il faudra que vous me croyiez sur parole chères Vahinés, croix de bois, croix de fer) alors vous savez, ces préoccupations métaphysiques...Je m’efforce donc de ne pas avoir l’air trop sérieux pendant mon interrogatoire, histoire de ne pas donner à Pierre l’impression d’être sincèrement tracassé par le trépas du petit animal enjoué, mais sa réponse est suffisamment évasive pour confirmer mes pires craintes: ainsi, nous croquons l’huître, groggy, agonisante, mais probablement vivante, oui, bien vivante... Aaaarrrzh! (C’est Aaaarrrgh! en breton. J’apprends vite.)


Oh et puis zhut (OK, j’arrête le breton). Zut, disais-je. Ce n’est pas tous les jours qu’on est hébergé chez un ostréiculteur dans le golfe du Morbihan, et qu’on peut déguster des huîtres tout juste sorties du bassin, du chantier” comme on dit dans la profession. Elle vit peut-être encore un peu, mais alors, quelle fraîcheur! Quelle saveur!

Petite démonstration de travaux ostréicoles au "chantier"
J’en suis donc à dix-huit assassinats gourmands depuis samedi, et à chaque fois, c’est le même rituel: je saisis une coquille, salue son habitante à la robe diaphane, la titille du couteau pour la mettre de bonne humeur, admire la fluidité de ses réflexes, tends l’oreille pour entendre ses petits couinements de rire, lui refais des guili-guilis, et là, le doute m’assaille: faut-il vraiment occire ce tendre mollusque qui ne m’a rien fait? Hélas, sous l’œil du producteur pas peu fier de son ouvrage, il n’est plus question de se débiner. Je m’efforce à surmonter mes états d’âme, lui porte le coup de grâce (ou du moins, j’espère très très très fort que ce soit le cas), et engloutis mon compagnon de jeu de la seconde précédente. Le goût suffit à me faire oublier les tourments qui me pèsent sur la conscience. Heureusement, car cette cruelle litanie de meurtres ludiques conchylicoles en terre bretonne est loin d’être terminée.

En tout cas, c’est fou tout ce qu’on peut apprendre sur les huîtres. Je mourrai avec plus de crimes sur la conscience, assurément, mais moins bête tout de même.

C’est tout pour cette semaine ! Vu l’irrégularité de ma connexion et la foultitude d’activités qui m’attendent, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter un très bon 14 juillet, au Champ de Mars, à Pariser Platz, aux Fêtes Historiques de Vannes ou ailleurs, et à vous dire à la semaine prochaine !

(*) Le prénom a été changé, as usual.

La côte sauvage de Quiberon. Dans l'eau froide, vagueuse et algueuse nous nous baignâmes.

vendredi 8 juillet 2011

Out of town

J’ai quitté Berlin. Juste pour quelques jours, rassurez-vous. Cette semaine j’ai fait semblant, mais c’était une ruse: je suis parti depuis lundi. J’ai passé la semaine dans une ville où l’on parle ma langue, ce qui fait du bien par moment. À la télé, lors de la page sports du JT, on a évoqué le décès de l’énorme champion de ski de fond finlandais Mika Myllylä, médaillé d’or sur 30 km à Nagano en 1998 (ah oui quand même, «Iciiiii, à.... Na-ga-nooooo, il neige de la choucroute») et que nous regretterons tous, on a commenté en détail le match nul Uruguay-Pérou lors de la Copa América, mais on n’a pas pipé mot sur la défaite 4-2 des Françaises contre les Allemandes à la Coupe du monde de foot des gonzesses. Bref, les priorités naturelles de la vie sont respectées, scrogneugneu.

Lhôtel où je réside se situe à deux pas d’une certaine rue des Trois Boudins, le nom donné localement aux Trois Grâces, en vertu dune tradition pluriséculaire. Une campagne d’affichage nous informe que l’on peut gagner des marcels de Jupiler, pour pouvoir emballer sans faillir au Macoumba cet été je suppose. Je me gausse sans retenue car je suis foncièrement niais.

Imaginez l'horreur, s'appeler Mme Legros et vivre "rue des Trois Boudins".
À propos de Jupiler, la bière est délicieuse et variée (avez-vous goûté la Saint-Feuillien ?), on se gave de frites mais les moules , plutôt de bons plats en sauce bien copieux. Les restaurateurs me tutoient spontanément.

Là-haut, dans les hautes sphères, Elio di Rupo et Bart De Wever sont en train de couler un pays qui n’a toujours pas formé un gouvernement après «trois-cents nonante» jours d’une impasse politique qui dure depuis les dernières élections.

C’est attachant la Wallonie. Je serai encore plus en vadrouille, dans notre belle France, dans les dix prochains jours, et je ne sais pas si j’aurai accès à internet. J’ai mon ordi au cas où, mais en tout cas, pardonnez-moi si c’est silence radio pendant toute la semaine à venir. J’en serais le premier à être navré.

Bon début dété à toutes les Vahinés, et à très bientôt !


La bière Jupiler vous souhaite un bel été 2011 dans les pays de bonne bière et les autres

Qui va à la chasse perd sa place, à moins que...

Berlin, capitale mondiale du vélo et du vol de bicyclettes, de l’électro et des principes reniés,  de l’art contemporain et des titres de “capitale mondiale de” plus ou moins usurpés, est aussi un lieu où lon s’habitue à prendre ses aises avec la sécurité, à force de vivre dans cet univers merveilleux peuplé de gens si foncièrement honnêtes. Petit à petit, lon perd ses réflexes de pleutre Parisien, de Français froussard, de Londonien lâche, d’Italien inquiet, de Croate craintif ou de Vénézuelien veule, et l’on comprend qu’il ne nous arrivera rien même si on traverse, à vélo ou à pied, le Görlitzer Park seul et par une nuit sans lune. On baigne dans cette ambiance de sécurité qui procure un grand confort mental au quotidien, et pour en avoir fait l’expérience à deux reprises, un portefeuille ou une carte de paiement égarés sont restitués à leur propriétaire étourdi sans dommage aucun dans 100% des cas (étude menée sur échantillon représentatif de deux situations vécues). Bref: respirez et détendez-vous, la confiance règne.

Ainsi, imaginez la scène : Vous êtes au concert, par exemple, vous attendez l’entrée en scène du contrebassiste Avishai Cohen après le slam de Shelley Hirsch dans le cadre d’un festival de jazz, et vous souhaitez aller fumer pendant les 15 minutes de pause. Hélas, les sièges ne sont pas numérotés, et après avoir inhalé votre nicotine, votre arsenic et votre goudron à plein poumons, vous trouvez un petit freluquet à la mèche trendy occupant votre siège, qui vous adresse, sur un ton moralisateur et faussement penaud, et avec lintonation affectée de Prenzlauer Berg la plus horripilante qui soit: «Weggegangen, Platz vergangen, sorry!» (qui va à la chasse perd sa place) de sa voix fluette. Forcément, votre sang ne fait qu’un tour. Vous vous ruez sur la scène, et avant que quiconque n’ait le temps de réagir, empoignez l’archet, revenez à votre siège perdu, plantez la baguette effilée dans l’œil du malotru. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, vous avez occis ce gredin, et un rictus de satisfaction courbe vos lèvres. Hélas, vous êtes alors maîtrisé et brutalisé par les services de sécurité, arrêté, inculpé, jugé, condamné et embastillé pour le restant de vos jours, et, pis que tout, vous avez loupé le concert... Un scénario catastrophe à éviter absolument. Que faire pour éviter d’en arriver à de tels extrêmes, qui se produisent bien plus souvent qu’on ne le pense ?  La solution est fort simple: vous pouvez réserver votre siège en laissant derrière vous un objet bien en évidence, histoire de marquer votre territoire. Par exemple, un téléphone mobile, un objet tout à fait indiqué pour être laissé 15 minutes sans surveillance dans une grande salle remplie d’inconnus en mouvement.

Le téléphone portable: pratique pour réserver son siège pendant un quart d'heure au milieu de centaines d'inconnus.

Et vous ne courez aucun risque de vous le faire chourave, car le Berlinois est honnête, et par conséquent, ne sera pas tenté de faire main basse sur votre portable. C’est beau cette culture de la confiance en l’honnêteté de chacun ! Dans ce cas particulier, malheureusement, la stratégie employée présente un inconvénient majeur que vous avez tout de suite envisagé : et si d’aventure, pendant ma pause clope-nicotine-tabac-arsenic, je souhaite passer un coup de fil, je suis bien marri ! Que puis-je donc laisser sur mon siège pour éviter d’être délogé par un indésirable ? Passons en revue les possibilités :

Un iPhone 4 ou un iPad
Oui parce que tout le monde n’a pas un vieux modèle de Nokia tout pourri vintage 2001 pour faire son intéressant au musée, s’afficher en public avec des airs de supériorité et un regard plein de suffisance qui semble dire : «Voyez, j’ai un téléphone qui n’a même pas d’écran couleur. Par conséquent, je suis bien plus intello que vous autres, misérables ploucs drogués aux bibelots high-tech, obligés de consommer pour avoir le sentiment d’exister». Non, vous êtes un type lambda et n’avez qu’un iPhone 4 (ou un iPad) pour communiquer avec le reste du monde.
Le plus : Je n’en vois pas vraiment, à moins qu’il ny ait une application “Radar” qui surveille votre place à distance ou une app “Electric Chair” qui administre sans sommation une décharge de 220 volts à tout individu faisant mine de s’approcher de votre fauteuil. Pour plus de renseignements, consultez votre app store habituel.
Le moins : Ce ne sont pas les inconvénients qui manquent. Par où commencer? D’abord, vous n’aurez pas votre beau beau joujou pendant la pause, ni pour téléphoner, ni pour poster sur Twitter: «Trop ouf, concert Avishai Cohen dans 5 minutes! #Jewish Museum Berlin #J’me kiffe», ni pour en informer vos 863 Facebook friends, dont 848 s’en tapent complètement. De plus, vu que par les temps qui courent, tout le monde possède un iPhone 4 comme substitut de personnalité, vous risquez, de retour de votre pause, de tomber sur toute une rangée de sièges sur chacun desquels trône un iPhone 4. Vous seriez bien avancé... Attendez peut-être la sortie de l’iPhone 5 à l’automne pour tirer votre épingle du jeu: si vous êtes first mover, vous disposerez d’un délai de 6 mois pour vous démarquer avant que 90% de la population de consommateurs panurgiens ne soit équipée.

Un billet de 500€
Vous vivez en Allemagne et êtes parfaitement intégré, donc vous avez forcément une liasse de grosses coupures en permanence sur vous. Vous pouvez donc laisser un billet de 200 ou 500€ sur votre siège pour signaler aux intrus d’aller poser leurs fesses ailleurs.
Le plus :  Vous courez peu de risque d’avoir besoin de dépenser 500€ pendant les dix minutes de pause.
Le moins : Au moindre courant d’air, vous l’avez dans le baba. Pour mémoire, vous êtes Berlinois, donc n’avez pas vraiment les moyens de semer des billets de 500€ aux quatre vents ou d’y mettre le feu comme Gainsbourg... 

Un concert d'Avishai et une heureuse trouvaille !
La soirée fut bonne, my Precioussssss.
Votre alliance ou votre bague de fiançailles (ou votre chevalière si vous avez vraiment la classe)
Très pratiques, ces petits anneaux d’or pur pour faire office de marqueur de territoire. D’ailleurs, c’est effectivement leur rôle premier, mais avec des humains plutôt que des fauteuils en règle générale... Bref. Si la salle est éclairée, le métal resplendira de mille feux et l’intrus ne pourra s’y tromper: quelqu’un a réservé ce siège et de surcroît, le cœur de ce quelqu’un n’est plus à prendre. Dépité, le fâcheux fera demi-tour et ira se faire pendre ailleurs.
Le plus : Pendant que votre alliance ou bague de fiançailles repose sur votre fauteuil, vous pouvez accoster un(e) inconnu(e) dans la cour verdoyante du Musée Juif, clope au bec, un verre de Prosecco à la main, un air de jazz en fond musical, et conter fleurette en toute liberté...
Le moins : Là encore les risques sont multiples. Assurez-vous que votre siège n’est pas un strapontin, sinon, adieu bague, cochons, couvée ! De plus, même si les Berlinois sont honnêtes et ne chaparderont pas votre précieux anneau, il n’est pas exclu que Gollum, lui-même fin amateur de contrebasse et violoncelliste hors pair, ne soit pas dans l’audience et, apercevant la bague, s’exclame “My Precioussssss” et, d’un coup de poignet vif et souple, se saisisse du symbole de votre amour éternel pour s’en aller le fondre dans les laves du Mordor. Franchement, vous vous voyez arpenter la Terre du Milieu et affronter ses moult dangers pendant des mois pour récupérer votre bijou matrimonial, vous? Scénario extrême, j’en conviens, mais le risque zéro n’existe pas.

Un lingot d’or
En ces temps d’incertitude économique, où les plans de sauvetage succèdent aux bail-out qui succèdent aux programmes d’austérité, nul n’est capable d’affirmer de quoi demain sera fait ni d’assurer que votre banque ne fera pas faillite d’ici après-demain, vous entraînant dans sa chute. Comme toute personne sensée, vous avez donc acheté de l’or pour mettre vos maigres économies hors de danger.
Le plus : Différenciation assurée à 100% ! Indéniablement, vous êtes sûr de retrouver votre place illico.
Le moins : Rien ne dit que votre voisin de siège, avec ses airs de Baden-Württembergien ultra-coincé, n’est pas un responsable haut placé à l’administration des impôts. Il aura sans doute grande envie de faire plus ample connaissance avec vous. Aïe.

Une Jaguar
L’Allemand respecte l’automobile. Pour réserver votre place au théâtre, ne faites pas dans la demi-mesure et garez un véhicule imposant à l’emplacement de votre choix dans la salle.
Le plus : Les sièges pourris du Musée Juif vous esquintent le dos et vous mettent les fesses en bouillie? Au moins, dans votre véhicule, vous serez mieux installé.
Le moins : Une Jaguar, non mais franchement, vous vous croyez à Paris 16ème ? Ayez au moins le bon  goût de conduire allemand. Entre Porsche et Audi, vous n’avez que l’embarras du choix. Vous pouvez oser une BMW ou une Mercedes si vous n’avez pas peur de vous encanailler en imitant les Turcs de Neukölln; effet décalé garanti. Ceci dit, manœuvrer un véhicule dans les couloirs d’un théâtre ou d’un musée peut en rebuter plus d’un, sauf si par bonheur l’événement a lieu dans un Drive-in Theater. Aussi, rappelez-vous qu’il existe des quartiers à Berlin où une grosse bagnole est une cible privilégiée pour les énervés de gauche, qui y mettront le feu juste pour pour tromper l’ennui et le désœuvrement, et accessoirement, pour combattre le capitalisme.

VERDICT: un “Hollandrad
Un vélo hollandais, ça sert vraiment à tout.
Tout bien considéré, la meilleure manière de signaler qu’un siège est pris, à supposer que vous ne pouvez y laisser ni votre veste (que vous avez laissée au vestiaire), ni votre téléphone, ni votre iPad, ni votre alliance, ni un billet de 500€, ni votre lingot d’or, ni votre Audi TT, c’est d’y mettre votre vélo bobo-hollandais bien en évidence sur la chaise. Moins indispensable qu’un téléphone pendant une courte pause, moins facile à égarer qu’un billet de banque ou qu’un anneau matrimonial, moins compromettant qu’un lingot d’or, moins encombrant et plus maniable qu’une voiture, votre Hollandrad de marque Gazelle ou Batavus est l’accessoire indispensable pour vous tirer de ce mauvais pas. Pratique, votre fière monture peut aussi vous acheminer de votre domicile au théâtre, et inversement, vous ramener à bon port. Cependant - Achtung! Les vélos sont les seuls biens dont le vol est systématique et même toléré en terre prussienne. Le Berlinois de base remuera ciel et terre pour vous rendre carte de crédit ou votre portefeuille égaré, mais en présence d’un vélo d’autrui, il se métamorphosera en maquignon et en dépravé de la pire espèce. Je vous recommande de ne pas oublier d’attacher votre bicyclette à votre siège, par précaution, avec pas moins de quatre antivols.

Vous me remercierez le jour où, grâce à ces conseils, vous n’aurez pas assassiné un Hipster prenzlauerbergien d’un coup d’archet de contrebassiste dans l’œil. Même si vous vous dites peut-être que dans le fond, ce ne serait pas si mal que ça de régler son compte à un de ces petits prétentieux androgynes, rien qu’une fois.

mardi 5 juillet 2011

À catin, catin et demi.

Il y a quelques jours à peine, je raillais une fois de plus les «habitudes sexistes allemandes» en évoquant les clichés olé-olé de quelques footballeuses de la Frauen-Nationalmannschaft publiées dans Playboy pour faire le buzz autour de la FIFA Frauen-WM. Ce que jignorais encore, ce samedi, cest que les Allemandes s’étaient contentées, si l’on peut dire, de plagier (ça devient pathologique dans ce pays on dirait) une idée de génie que d’autres avaient eue bien avant elles. En effet, force est de constater qu’elles avaient été devancées dans la nudité par... les Bleues elles-mêmes! Qui a dit que le génie français était mort? En mars 2009, les joueuses de léquipe de France avaient lancé une campagne de comm complètement inédite en faveur du football féminin. Gaétane Thiney, Élodie Thomis (de parents martiniquais), Corine Franco et Sarah Bouhaddi tombèrent alors courageusement le maillot et nous interrogèrent, nous regardant droit dans les yeux: «Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer?» Des femmes jeunes et pas trop mal fichues qui se dénudent pour attirer l’attention, il fallait vraiment y penser...

Nadia Bouhaddi, Corine Franco et Gaétane Thiney
Vu que je ne vivais pas en France à lépoque, je ne saurais me prononcer sur le résultat de l’opération, mais je ne prends pas un gros risque en disant qu’elle n’a pas vraiment mis la scène médiatique en émoi dans notre pays.  Silence assourdissant à part sur quelques blogs. Le concept de la sportive nue était peut-être un peu trop avant-gardiste en 2009? Pour que Le Monde se fende enfin d’un article, il a fallu patienter dix-huit mois après les faits et attendre l’intervention dun Deus ex Machina en la personne d’Adriana Karembeu dans une nouvelle campagne de comm’ qui a misé cette fois sur les pipoles plutôt que sur la nudité d’athlète inconnues. Pari gagné cette fois.

Et voilà que Bild, modèle d’impartialité, d’intégrité et de déontologie journalistique, se saisit de l’affaire: le quotidien le plus lu d’Allemagne publie un article (intitulé «Un torride trio français», pour ajouter au choc des photos, le poids des mots) ce samedi et diffuse les photos comme si elles venaient juste d’être prises, sans jamais préciser qu’elles remontent à une campagne vieille de deux ans déjà. Je suis tombé dans le panneau, comme beaucoup dautres lecteurs sûrement. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille était de ne pas du tout entendre parler de cette campagne dans les médias français. Je me suis également demandé quelle mouche a piqué les Bleues pour qu’elles aillent ainsi se déshabiller pour un journal qui n’est lu qu’en Allemagne et qui ne changera rien à la perception du public français. Après un peu de recherches, j’ai fini par comprendre: l’affaire n’était plus de toute première fraîcheur

Élodie Thomis
Mais cela n’est pas un souci pour un journal à l’éthique exemplaire comme Bild. Tout est bon pour administrer au lectorat sa dose quotidienne de tétons, de commentaires émoustillés et de rires gras. Pari gagné pour Bild également, et l’histoire est même reprise par d'autres médias allemands, accordant ainsi une improbable deuxième vie outre-Rhin à l’opération communication qui avait fait un demi-flop en France en 2009.

Alors, si quelqu’un de Bild me lit (on ne sait jamais, hein, ils ont peut-être un très bon service veille internet pour dénicher le cliché hot du jour), voici quelques idées d’articles potentiellement riches en photos olé-olé pour les journées creuses, et des faits approximatifs et dont la date limite d’utilisation est déjà dépassée, sauf quand on s’appelle Bild Zeitung

«Le président français Félix Faure meurt dans les bras d’une prostituée Tous nos clichés de la scène déjà culte de la «pompe funèbre». Ach, chez ces satanés Français, même la mort est une partie de plaisir-euh!

«Je suis vraiment pucelle, non mais!» Jeanne d’Arc tombe la cotte de mailles pour convaincre les incrédules qui l’accusent de sorcellerie. 20 clichés exclusifs et un supplément spécial pour tout savoir sur les tendances épilation ceinture de chasteté de votre été 1430.

«Cléopâtre trompe César avec Marc Antoine!»  Des bas-reliefs hard-core en granit, découverts à Alexandrie, disent toute la vérité dans les moindres détails et montrent même son Arschgeweih (*) royal en forme de serpent.


Gaétane Thiney bis.
«Le “philtre d’amour de Tristan et Iseut: c’était du Viagra!»  La version intégrale de la grande tragédie romantique médiévale non censurée! Toutes les enluminures coquines et tous les Director’s Cuts libertins qu’on ne vous a pas montrés à l’école!

Sacré journalistes de Bild tout de même. Ils ont la déontologie de Pernaut, l’obsession pour les seins en plus. Mais au moins, quand ils montrent des Françaises nues, et salivent sur des clichés de Französinnen même pas blanches, ils arrêtent d’être xénophobes le temps d’un article. C’est déjà cela de pris...


Ce soir, à 20h45, l’Allemagne et la France s’affrontent, habillées (cela les changera), à Mönchengladbach, dans la Coupe du monde féminine. Allez les Bleues !

(*) “Arschgeweih”, cest le petit nom poétique que les Allemands donnent aux tatouages portés en bas du dos.  Arsch se traduit par “cul” et Geweih, “les bois” comme des bois de cerf ou de renne ou ce genre de bêtes qui ont des branches sur la tête. Une belle métaphore comme les Allemands en ont le secret.

lundi 4 juillet 2011

Il pleut sur mes saucisses

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur le gril.
L’orage tapageur
Douche les rôtisseurs.

Ô bruit doux de la pluie
Qui rince les saucisses !
Quatre Allemands s’ennuient
Près un morne méchoui.

L’été, c’est la saison
Des barbecues champêtres :
Même un jour de mousson.
L’on grille hors la maison.

Sous la pluie diluvienne,
Nos quatre ripailleurs
Font fi de la déveine :
Fieffés énergumènes !

Teutoburger Platz, à Prenzlauer Berg: le barbec’ barbote, mais les Teutons ne sont pas des chochottes.

Pour vous chères Vahinés qui me lisez loin de Berlin, et qui auriez besoin de cette petite précision, sachez qu’après une magnifique semaine ensoleillée, après de belles soirées d’été que j’ai passées à nager au lac, délaissant mon blog, négligeant mon lectorat, nous avons eu un weekend digne d’une mi-octobre. La pluie nous a inondés sans discontinuer jusqu’à ce matin, et le thermomètre a frôlé les 14°C au mieux... Alors forcément, quand j’aperçois, dans un square riquiqui de Prenzlauer Berg, quatre pèlerins qui bravent cette pluie battante qui a fait annuler de grands festivals, et grillent piteusement leurs Thüringer Bratwurst dans la boue et abrités sous un feuillage dégoulinant, je compatis mais surtout, m’incline avec respect devant ces fêlés de la saucisse. Preuve qu’il en faut vraiment beaucoup pour priver un Allemand de sa ration quotidienne de Wurst.

En tout cas, la prochaine fois que j’irai au Liepnitzsee, j’essaierai de penser à prendre mon appareil photo pour vous parler de ce petit coin de nature brandebourgeoise, où l’on peut se prélasser et se rafraîchir dans une eau claire à seulement une heure du centre de Berlin. Mais pour l’instant, j’ai davantage envie de soirée au coin du feu que de baignades rafraîchissantes au milieu de la forêt.


À ma fenêtre, pas de doute possible :  c’est la mousson.
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