lundi 28 février 2011

Mariage au KFC et autres excentricités alimentaires


Certes, l'Angleterre vient de battre le XV de France au Tournoi des Six Nations et est en bonne position pour remporter le trophée cette année. C'est la dure loi du sport : même si ce serait plaisant, on ne peut pas s'attendre à ce que la France remporte chaque édition du Tournoi, qu'elle a dominé, de la tête et des épaules, une fois sur deux ces quatorze dernières années.

Pour un mariage "qui déchire", pensez KFC !
Consolons-nous de cette amère défaite contre les Anglais en nous rappelant qu'il y a un domaine où cette perfide engeance pourra attendre très longtemps avant d'espérer faire de l'ombre à la France : la gastronomie. J'enfonce des portes ouvertes, mais j'en parle malgré tout car il y a parfois des petits riens qui nous  rappellent cette hiérarchie naturelle, comme par exemple ces deux petites anecdotes rapportées en février dans la presse... britannique.

Ainsi, la BBC nous relate dans ce bref article le mariage d'un couple de Bristol célébré dans un restaurant de la chaîne KFC. Ils l'ont fait car ils trouvaient l'idée non seulement "originale" mais aussi "cool" selon un autre article qui annonçait l'événement la veille. Hé oui, les Américains ont inventé les anniversaires au McDo mais leurs cousins anglais ont fait beaucoup mieux ! Bientôt en exclusivité : la première communion "top délire" chez Burger King, la circoncision "de ouf" chez Pizza Hut et la veillée mortuaire "complètement décalée" chez Subway ! Presque au même moment, dans les pages du Guardian, une Anglaise livrait à des lecteurs pour le moins étonnés ce témoignage poignant, bouleversifiant : depuis dix ans, elle ne se nourrit que de chips, "saveur bœuf" de préférence. Allez, certaines bonnes âmes rétorqueront que c'est vilain de se moquer des gens qui ont des problèmes avec la nourriture, mais cette dame a choisi de raconter son histoire dans l'un des plus grands journaux du pays et nous assure qu'elle se porte à merveille, alors nous avons bien le droit d'en rire à peu de frais.

À quand la classification des traditions alimentaires britanniques au patrimoine mondial de l'UNESCO ? Un tel patrimoine est unique et mérite d'être sauvegardé, à l'instar de son contraire, son antithèse, son opposé, la gastronomie française.

Et les Allemands dans tout ça ? Pour l'instant, la presse ne rapporte aucun cas de mariage au "Nordsee" du coin, mais cela ne saurait tarder... En attendant, ceux qui font parler d'eux, ce sont les "Freegan", ces végétariens qui choisissent de racler les fonds de nos poubelles, pleines à craquer de produits alimentaires encore largement consommables, pour sauver le monde. C'est mon site d'infos débiles préféré, TheLocal.de, dont j'ai déjà fait l'éloge ici, qui en parle. The Local, ce n'est pas de l'information de haut vol, je le savais déjà. Et une fois de plus, ils abordent un sujet déjà largement connu du public. Une recherche très rapide sur Internet, en tapant simplement "trouver sa nourriture dans les poubelles", m'a permis de trouver un site "Freegan" français (ils se nomment joliment les "déchétariens", ce qui donne instantanément l'eau à la bouche), et leur site, véritable mine d'informations, regorge de bons tuyaux comme "Les poubelles les plus juteuses" ou "Plonger au cœur des bennes", cette dernière page s'ouvrant sur une mise en bouche des plus appétissantes. Le principe est simple, rassérène-t-on le lecteur inquiet. On considère la benne qui est devant nous comme une vaste mer nourricière." En plus, ils ont le sens de la formule !


Là encore, je trouve que ces messieurs de l'UNESCO sont assez injustes dans leur manière de snober les déchétariens, par pur conformisme conservateur je suppose. Ces derniers méritent un peu plus de reconnaissance et leur étonnante philosophie, rien de moins qu'une inscription au patrimoine mondial de l'humanité !

Photo: DPA
J'ai ouï-dire que cette benne a reçu d'excellentes critiques sur Qype.de ! 

jeudi 24 février 2011

Dr Googleberg and Mr Guttenberg

"Chez nos voisins français", selon l'expression chère à Jules-Édouard Moustic, les ministres offrent depuis quelques mois un spectacle navrant, où l'indignité confine à l'absurde, et s'évertuent avec un zèle surprenant à se comporter de la manière la plus déshonorante qui soit, au point que l'on en vienne à s'étonner que Michèle Alliot-Marie n'ait pas encore proposé aux autorités libyennes de bénéficier du "savoir-faire français" en matière de maintien de l'ordre, ou que le Canard Enchaîné n'ait pas encore déterré des révélations qui surpassent encore les précédentes, allez, avec un minimum d'imagination, car, comme disait un certain candidat à la présidence en 2007, "tout devient possible" : que, par exemple, "MAM" et Patrick Ollier reviennent tout juste de vacances en Libye, tous frais payés par Kaddafi bien sûr, et que les arrière-grands-parents de notre ministre en goguette, Yvonne-Adélaïde et Hercule-Théodule Marie, âgés de 138 et 150 ans (et toutes leurs dents), étaient bien entendu du voyage pour effectuer de juteuses transactions immobilières avec Hannibal Kaddafi, le sinistre fils du colonel en déroute. Mais attendons tout de même la parution du Canard de mercredi prochain avant de trop nous réjouir de ce que la France ne soit pas tombée encore plus bas avec cette fine équipe au pouvoir.

Cependant, chers compatriotes, je voudrais vous apporter un peu de réconfort en ces heures moroses : car nous ne sommes pas les seuls en Europe à ne plus supporter l'inconduite et les turpitudes de nos dirigeants, loin s'en faut. Je ne pensais même pas à Berlusconi et à ses soirées "bunga-bunga", ce serait trop facile à citer, et puis tout comme vous, je ne vis ces rebondissements consternants que d'assez loin. Bien entendu, je voulais parler du pays où je vis, l'Allemagne, qui n'est pas épargnée par des polémiques surgissant çà et là, ridiculisant des politiciens peu scrupuleux et qui, dans certains cas, l'ont bien cherché. Ce qui est dommage, c'est que ces maudits politiciens allemands ont un énorme défaut que n'ont pas les nôtres : ils sont beaucoup moins combatifs que le premier Iznogoud UMPiste venu, et en général, si les preuves sont accablantes, ils battent très vite en retraite et admettent leurs torts pour clore la polémique au plus tôt, au lieu de s'enfoncer davantage dans la fange, feignant l'indignation, clamant leur innocence, hurlant au complot et jurant sur la tête de leur vieille mère qu'il y a un "malentendu".

Margot Käßmann s'était notamment opposée au ministre allemand de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg sur l'Afghanistan
Margot Käßmann s'était opposée à Guttenberg à propos
de l'intervention allemande en Afghanistan.
Un montage photo prémonitoire signé Deutsche Welle.
Parmi les exemples récents de scandales qui ont coûté cher à des personnalités publiques au zénith de leur carrière, il y a eu l'affaire de l'alcool au volant : il y a un an jour pour jour, je ne l'ai pas même fait exprès, démissionnait de toutes ses responsabilités une certaine Margot Kässmann, évêque (évêchesse ? évêchette ? les ayatollahs [ou ayatoilettes] de la féminisation des noms masculins n'ont pas encore statué) de Hanovre et tout récemment élue à la tête de la Fédération des églises protestantes d'Allemagne. Pour une femme, divorcée de surcroît, ceci n'était pas la moindre des consécrations, mais cette réussite couronnait une carrière engagée et pleine de mérite. Grisée par tant de succès, c'est bien le cas de le dire, Frau Kässmann s'est laissé aller : un soir de février 2010, la police l'arrête au volant de sa voiture. Elle vient de griller un feu rouge, et pour ne rien arranger, se fait contrôler avec un 1,5 gramme d'alcool dans le sang ! La limite en Allemagne étant de 0,3 gramme par litre, la messe est dite pour monseigneur : son permis de conduire lui est immédiatement retiré et la presse fait ses choux gras de cette sordide affaire. L'Église évangélique, où ses talents étaient reconnus à leur juste valeur, lui renouvelle son soutien. Cependant, Margot Kässmann préfère tirer les conséquences de ses actes avant que la polémique n'ait le temps d'enfler. En trois jours, elle avait présenté sa démission et émergeait de ce scandale, la tête haute.

"Devons-nous retenir un nom pareil ?" demandait Bild,
qui rechigne toujours dès qu'il est question de faire
le moindre effort intellectuel.
Nul ne sait, pour l'instant, comment se dénouera "l'affaire" qui tient en haleine l'Allemagne entière cette semaine, et si son protagoniste en sortira durablement décrédibilisé ou non, mais on devrait être assez vite fixé, vu la faiblesse de l'engouement national pour les scandales à rebondissements et les polémiques stériles. Le politicien chouchou de l'opinion publique teutonne, au sommet de sa popularité, s'est fourré dans un sacré pétrin qui n'est pas digne d'un homme de sa classe, mais plutôt d'une arriviste comme Rachida Dati, serions-nous tentés de persifler. Nous ferions erreur de l'insinuer, car les faits sont là. Il y a deux ans, en février 2009 (décidément je devais vraiment écrire ce billet aujourd'hui), un jeune aristocrate bavarois, entièrement inconnu du grand public, était propulsé sur les devants de la scène en devenant ministre fédéral de l'Économie. L'Allemagne apprenait à connaître, et surtout à aimer Karl-Theodor Maria Nikolaus Johann Jacob Philipp Franz Joseph Sylvester Freiherr von und zu Guttenberg, oui oui, c'est bien le nom d'une seule personne et pas de toute une équipe de foot, plus commodément appelé Karl-Theodor zu Guttenberg, ce qui s'écrit déjà en 23 lettres. (Et vu qu'ils ont tous l'air d'avoir des noms comme ça dans la famille, alors on comprend mieux pourquoi un certain Gutenberg, n'en pouvant plus des crampes aux doigts à force de copier son nom à la main, a inventé l'imprimerie...) Certes, le nouveau ministre a été gentiment raillé à ses débuts : le côté quelque peu "aristocratie décomplexée" de ce nom à rallonge a un temps fait jaser les manants dans leurs chaumières. Il est vrai que le pedigree du sieur von und zu Guttenberg est tout à fait impressionnant, et l'on se perd très vite dans les ramifications enchevêtrées de l'arbre généalogique de la lignée, ses barons, comtes et duchesses aux chaussettes archisèches (et probablement pas seulement les chaussettes). On note avec intérêt que, selon mon pote Wicky Pédia qui sait tout sur tout, presque autant que Big Brozzer, il descend de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche par sa mère, et que d'ailleurs maman Guttenberg a, ô scandale, divorcé d'avec Guttenberg père (ciel ! tout part à vau-l'eau, même chez les Bavarois bien comme il faut !) pendant la prime enfance du petit Karl-Theodor, pour convoler en justes noces avec le fils du tristement célèbre Joachim von Ribbentrop, le fidèle ministre nazi qui a scellé avec Staline le sort de la Pologne en 1939. Oups la boulette. Mais comme grand-papa Guttenberg a comploté contre Hitler et a été exécuté par les mêmes nazis, ça fait match nul. Pour le reste, je vous invite à lire Point de Vue et à écouter les chroniques de Stéphane Bern, sinon ça va faire très long, et, comment dire, très chiant en fait.


Mais très vite, les moqueurs se sont tus, les chiens ont aboyé mais le carrosse est passé : Karl-Theodor zu Guttenberg a conquis les cœurs d'une nation éblouie, aveuglée même. L'Allemagne est tombée sous le charme de son ministre de l'Économie. Il faut dire que ce ne sont pas les arguments qui manquent : finalement, être aristo en Allemagne, c'est loin d'être aussi rédhibitoire que dans un certain pays voisin où l'on a autrefois débité de la tête de gentilhomme à la douzaine. Et puis, "KT", comme on se surprend à le surnommer affectueusement, en plus d'être aristo, il est jeune, devenu ministre à 37 ans, c'est presque un gamin dans une Allemagne à la tête grisonnante. Il est jeune et cool, c'est "le baron von Cool", avec ses cheveux toujours impeccablement gominés, et sa chemise parfois entr'ouverte, résolument cool. Bill Murray n'a qu'à aller se rhabiller, George Clooney peut nous lâcher avec son Nespresso à deux balles : il y a un ministre allemand dix fois plus cool que les deux réunis, et il a un vrai criminel de guerre dans sa famille par alliance, lui. Ha ! Il leur a bien damé le pion. Le sommet du "KT-chisme" a été atteint (ou le fond a été touché, selon votre point de vue) lorsqu'il a été très sérieusement comparé à un Obama allemand ! Là je dois vous avouer que j'ai perdu le fil du raisonnement... Mais, comme aiment à dire les Anglais, cherchez la femme. KT ne serait pas aussi populaire s'il n'était pas souvent vu en compagnie d'une blonde pulpeuse au sang bleu tout comme lui, son épouse, une certaine comtesse Stephanie von Bismarck-Schönhausen. Rouvrons une parenthèse Stéphane Bern : la comtesse est, vous l'auriez deviné, une descendante directe du fameux chancelier Otto von Bismarck, et une Bavaroise bon teint, ce qui ne manque pas de sel puisque son illustre trisaïeul était un Prussien pur jus qui a bâti l'unité allemande au profit de la Prusse protestante et sur le dos de la catholique Bavière... Parenthèse Stéphane Bern refermée.


Karl-Theodor et Stephanie se sont rencontrés, à l'été 1995, non pas au bal des débutantes, ni dans une soirée "rallye" dans le 16ème, car ce n'est pas cool, mais... à la Love Parade à Berlin ! Et ça, c'est vachement cool. Depuis, le couple s'est assagi, s'est calmé sur la techno et sur l'ecsta, et a connu une ascension fulgurante. À l'image de la comparaison débile avec Obama plus haut, les médias n'ont pas tari d'éloges obséquieux et d'épithètes douteuses pour désigner ce couple bien assorti : les "Guttenberg en majesté", les "Kennedy allemands", tout est bon pour glorifier le couple glamour de l'année 2009-2010.

Lorsque, fin 2009, Guttenberg devient ministre de la Défense, un poste casse-pipe, on s'attend à ce que sa popularité en prenne un coup, et nombreux sont ceux qui se frottent les mains par avance à l'idée de le voir tomber piteusement de son piédestal. Mais il n'en est rien : malgré les bavures à répétition commises par l'armée allemande en Afghanistan, et quelques autres fâcheux dossiers qui s'accumulent, KT reste une icône stratosphérique. Fin 2010, dans une opération comm' tellement éhontée que même Sarkozy hésiterait à monter, il effectue une visite en Afghanistan, emmenant dans ses bagages quelques journalistes complaisants et sa sublime épouse. Les ficelles sont un peu grosses, et la polémique met bien quelques semaines à se résorber : il s'est trouvé quelques grincheux pour trouver que cette "trivialisation" et cette "glamourisation" du conflit dépassaient les bornes, sans parler du surcoût pour ces radins de contribuables allemands. Mais les contribuables allemands, une fois que les tabloïds, Bild en tête, leur ont pondu quelque mièvrerie soulignant le courage de la belle princesse, la seule femme  et quelle femme !  qui ne soit pas ensachée dans une burqa à 500 kilomètres à la ronde, au milieu de barbus mal léchés, ont vite fait de se ranger, une fois de plus, du côté du baron qui semblait vraiment indestructible.

Pourtant, depuis dix jours, rien ne va plus pour Karl-Theodor zu Guttenberg. Qu'a-t-il donc fait de si répréhensible, le baronneau ? Eh bien cette fois, il semble qu'il soit vraiment allé trop loin. Tout a commencé en milieu de semaine dernière, lorsque l'université de Bayreuth annonce qu'elle soupçonne le ministre d'avoir plagié plusieurs travaux pour compléter sa thèse de droit, soutenue en 2007. Les accusations se retrouvent immédiatement dans la presse, enveloppées de conditionnels et de précautions langagières. Le ministre, lui, nie en bloc des accusations qu'il qualifie d' "absurdes". Mais chaque jour qui passe apporte son lot de corroborations aux soupçons. Le baron von Cool reconnaît alors qu'il a pu "oublier" de citer correctement certaines de ses sources, mais que la thèse sur laquelle il a travaillé d'arrache-pied pendant sept ans reste un travail personnel. Toutefois, après une entrevue avec la chancelière Merkel, il annonce qu'il renonce "temporairement" à son titre de Docteur, le temps que l'université de Bayreuth tire au clair son cas. Le public se passionne pour l'affaire, de nombreux volontaires recherchent méticuleusement les passages copiés. La crédibilité de celui qu'on surnomme déjà "Dr Copier-Coller" ou "Dr Googleberg", est désormais proche de zéro sur ce dossier. De mauvaises langues vont jusqu'à insinuer que même "son titre de baron" n'est pas le résultat de son propre mérite, mais un simple cadeau hérité de sa famille. Où les gens vont chercher des choses pareilles, on se le demande ! Lorsqu'au début de la semaine, on annonce que près de 70% du contenu de la thèse de droit (eviron 270 pages sur 400) est plagié, le ministre rend gorge : il renonce définitivement à son titre de docteur, dont l'université l'a officiellement déchu, hier.

Le code-barre de la vérité : 68,7 % de plagiat dans la thèse de Guttenberg !

En une semaine à peine, c'était donc plié : Karl-Theodor zu Guttenberg n'est donc pas plus docteur en quoi que ce soit que Jean Sarkozy. La bataille n'aura pas duré bien longtemps, bien moins que celle de l'EPAD en tout cas. Ce qui reste à savoir, c'est si le ministre de la Défense démissionnera de ses fonctions. Cela semble malheureusement peu probable : il n'est pas fait du même moule que Margot Kässmann, qui avait estimé il y a un an qu'une erreur rédhibitoire est une raison suffisante pour que son autorité et sa légitimité soient atteintes. Mais notre bon baron catholique n'est pas un homme d'église, et ne raisonne pas ainsi : tant qu'il est populaire, ça passe. Or, de récents sondages confirment que la cote de popularité stellaire du ministre n'a pas diminué d'un iota ; elle a même encore augmenté, culminant à 73% de satisfaction !

Mais c'est bien sûr : la popularité du ministre ne devait rien à son titre de docteur laborieusement obtenu ou pas. Tout ce qu'on lui demande, c'est d'être glamour, gominé, "cool" et d'avoir une belle femme. Tant que sur tous ces points, le public demeure satisfait, alors il ne devrait pas avoir trop de soucis à se faire, notre baron Von Cool !

Les Guttenberg : "Nous traversons cette épreuve ensemble !"
nous dit Bunte, une sorte de Voici local.

J'ai choisi exprès d'écrire "Kaddafi", mes amis arabes m'ayant dit que "Kadhafi" est incorrect. D'ailleurs toute la presse étrangère écrit toujours "Gaddafi" ou "Qaddafi".

mardi 22 février 2011

Rideau sur la Berlinule

L'on me presse de produire, hic et nunc, un billet sur la Berlinale. Je veux bien, mais je suis nul en ciné, alors comment faire pour me démarquer face aux nuées de papiers d'experts qui ont traité ce sujet en long et en large ? L'époque où j'aiguisais ma culture cinématographique à l'UGC Ciné-Cité des Halles ou au MK2 Beaubourg plusieurs fois par semaine, grâce à ma carte UGC-MK2 Illimitée, est entièrement révolue. Précurseur, j'étais même allé assister à la première de Bienvenue chez les Ch'tis, bien avant que cette comédie gentillette n'hypnotise la France entière pour des raisons difficiles à comprendre. À Berlin, au contraire, il y a toujours une douzaine d'activités plus alléchantes et plus pressantes que d'aller voir les derniers films. Les deux derniers Woody Allen ? Je ne m'en rappelle même pas le titre. Il paraît qu'ils n'en valaient pas la peine. The Kids Are All Right ? Toujours en souffrance. Des films comme Les Citronniers ou Valse avec Bachir, de diffusion presque confidentielle à Berlin comparée au succès qu'ils ont connus en France, je les aurais certainement loupés si j'avais quitté Paris quelques mois plus tôt, d'autant qu'à mon arrivée ici, de l'hébreu sous-titré en allemand, c'était pour le moins... inenvisageable.

Le logo de l'édition 2011
Pour beaucoup de Berlinois, en tout cas pour les plus conformistes du lot, le Festival International du Film de Berlin, c'est l'exception, la parenthèse durant laquelle le cinéma occupe un peu de temps dans les conversations à la machine à café, où aller voir un obscur film moldave tourné en caméra à l'épaule, est une activité valorisée et dont tous vos amis sont avides des plus petits détails, pour laquelle on est prêt à sacrifier le déjeuner pour faire la queue et acheter des billets à l'un des trois points de vente de la ville, comme par exemple celui de Potsdamer Platz. Car la Berlinale, c'est résolument in depuis 1951. Pour nous aut' les étrangers, il y a un autre facteur primordial qui rend ce festival très attractif : le fait de pouvoir voir des dizaines de films en version originale avec des sous-titres en anglais. Il fallait y penser ! Déjà qu'ici la VO se fait rare, et quand elle est disponible, les sous-titres sont bien entendu en allemand. Pendant la Berlinale, même les films allemands sont sous-titrés, pour le bonheur des visiteurs comme des résidents qui auraient encore du mal à lire du Kant dans le texte.

Plus concrètement, j'ai eu l'occasion de voir seulement deux films pendant le festival : un thriller policier hong-kongais dont le titre anglais est The Stool Pigeon, du réalisateur Dante Lam et une fiction russo-ukraino-allemande intitulée "V Subbotu", ce qui a été traduit en anglais par "Innocent Saturday", se déroulant un certain samedi d'avril 1986 dans une certaine bourgade ukrainienne, dans les heures qui ont suivi un certain incident survenu dans un certain réacteur nucléaire tout proche, mais alors vraiment proche, et qui allait par la suite causer certains désagréments, mais en ce beau samedi printanier, bien peu se doutent du drame qui allait changer leur vie à jamais.

C'est aussi ça la Berlinale : lorsque 400 films sont projetés, quasiment à toute heure du jour et de la nuit, pendant une petite dizaine de jours à un avide public qui approche le demi-million de cinéphiles acharnés ou de dilettantes des salles obscures, il faut savoir faire des concessions et se contenter des films pour lesquels l'on parvient à obtenir une place sans trop y laisser de plumes, faute d'être un de ces jusqu'au-boutistes prêts à vendre père et mère pour une accréditation presse ou à arracher les billets de la main de leurs voisins au prix de morsures, de griffures, de coups de coude dans le plexus solaire et de doigts hargneusement plantés dans les yeux de quiconque ose s'interposer entre ces spectateurs fanatisés et cet incomparable chef-d'œuvre albanais projeté le lendemain à 23h et dont ils ont décidé que leur bonheur et leur épanouissement intellectuel dépendent. Ainsi, n'ayant pas pu voir le fameux documentaire sur Khodorkovsky (celui dont "on" a volé une copie juste avant le début du festival), qui, projeté en semaine les après-midi, disqualifiait d'office tous ceux qui ne se sont pas mis en arrêt maladie, ni obtenu de billet pour le film d'animation de Michel Ocelot, ni trouvé le temps nécessaire pour visionner cette énorme comédie tchèque de la célébrissime Erika Hníková ni También la Lluvia, le dernier opus de l'Espagnole Icíar Bollaín avec entre autres Gael García Bernal, j'ai pris ce qui venait avec Stool Pigeon et V Subbotu.

Au lieu de décamper loin d'ici et de sauver sa peau, cette cruche de Vera
préfère chanter du rock 'n roll ringard avec ses potes moustachus...

Ma foi, c'étaient de bien bons films et je suis bien étonné qu'ils n'aient reçu aucun prix. V Subbotu remplissait pourtant un certain nombre des critères pour faire bonne figure en compétition officielle, si l'on se fie au palmarès des 59ème et 60ème éditions de la Berlinale : une tension latente qui ne fait que croître, torturant le spectateur qui attend un grand "boum" libérateur qui cependant n'a pas lieu, des langues rarement entendues dans les cinémas des grandes capitales (le russe et l'ukrainien ici contre le quechua et le turc pour les deux derniers films ayant remporté l'Ours d'or) et bien sûr des acteurs et réalisateurs fort peu connus du grand public. Sans parler de la BO. L'histoire est simple et tient en quelques mots : un soir d'avril, Valery Kabysh, jeune ingénieur en vue et membre du Parti, comprend, en  écoutant aux portes, que le pire vient de se produire à la centrale de Tchernobyl. Il veut décamper au plus vite, en abandonnant tout derrière, sauf bien sûr sa copine, Vera. Mais fuir cet enfer de radiations aussi mortelles qu'invisibles et convaincre son aimée et ses amis d'en faire de même s'avère incroyablement difficile, au vu du péril de la situation : chacun veut profiter de ce beau samedi de printemps, s'empiffrer, se soûler, danser et chanter à l'ombre du monstre fumant de béton, de ferraille et d'isotopes létaux, rassuré par le silence bienveillant des autorités... Le décalage ahurissant entre l'urgence vitale de la situation et le joyeux badinage des braves travailleurs soviétiques insouciants est aussi difficile à supporter pour le spectateur que pour ce pauvre Valéry, qui passe la moitié du film à courir éperdument, hors d'haleine, dans l'indifférence amusée des fêtards braillards. La caméra au poing qui le suit dans ses courses donne le tournis à un spectateur malmené par cette tension qui n'en finit pas de monter sans jamais culminer.

Le prestigieux Kino International de l'ex RDA,
sur Karl-Marx-Allee
Dans la section "Forum" du festival, The Stool Pigeon ("L'Indic") est d'un tout autre genre. Film d'action hong-kongais, il a déjà raflé un certain nombre de prix des critiques cinématographiques en Asie. Le film est un bon classique du genre, mais met l'accent sur la relation tout à fait perverse entre le policier intègre en pleine descente aux enfers, et son indic, criminel malgré lui prêt à prendre tous les risques pour s'acquitter de la très lourde dette envers la pègre que son défunt père lui a léguée (sympa le papounet) et pour sauver l'honneur de sa sœurette bien aimée, dans un monde qui n'est que brutes et salauds de la pire espèce. J'espère que le Ministère du tourisme hong-kongais a protesté auprès de Dante Lam car le film ne donne pas envie de se ruer chez Cathay Pacific pour sauter sur le premier avion pour "le Port aux Parfums". Mais l'histoire est un bon divertissement qui tient le spectateur en haleine, avec fort peu d'humour mais une scène de course poursuite dantesque dans les rues congestionnées de la ville, sur un fond de musique de Noël absolument décalé, White Christmas de Bing Crosby. S'il y a une chose à retenir de ce film, c'est bien cette scène. Le film est entièrement disponible sur YouTube, en huit parties, en cantonais sous-titré en mandarin, pour les éminents orientalistes parmi vous, que je sais nombreux. La fameuse scène en voiture est dans la quatrième vidéo, et commence à 4'45. Ah, c'était plus impressionnant en salle que sur mon petit écran d'ordi.

Dans la grande salle du Kino International
Et voilà, c'était mon expérience de la 61ème Berlinale. Les films que j'ai vus n'ont rien gagné cette année. L'Ours d'Or a été décerné à un film iranien, Jodaeiye Nader az Simin, "La Séparation de Nader et Simin", l'Ours d'Argent, à un film hongrois en noir et blanc (A torinói ló) et le prix du meilleur scénario à un film albanais, The Forgiveness of Blood. Business as usual à la Berlinale, quoi. Je me suis donné du mal pour écrire le billet le plus nul sur la Berlinale 2011, d'où le titre. Mais qu'à cela ne tienne, l'an prochain je me préparerai un peu mieux et je pondrai des comptes-rendus qui feront des jaloux même aux Inrocks !



jeudi 17 février 2011

Signe avant-coureur : Frühling Feeling

Ah c'était trop beau pour durer. Nous nous étions habitués, ces dernières semaines, à un temps clément, une sorte de "printemps indien" qui a fait fondre toute la neige et nous a permis de mener une vie tout à fait normale ces dernières semaines : marcher avec des chaussures de ville, faire du sport, nous déplacer à vélo, ne plus courir le risque d'une hypothermie ou de faire une glissade périlleuse chaque fois que nous mettions le nez dehors. Nous avions commencé à croire au miracle, malgré nous, sans oser nous l'avouer, comme un condamné au peloton d'exécution espère, tout au fond de lui et en dépit du bon sens, que toutes les balles manqueront leur cible, qu'il survivra miraculeusement et narguera ses bourreaux effarés : l'hiver est fini, nous susurrait une voix perfide que nous voulions faire taire mais dont les mensonges faisaient tellement plaisir à entendre.

Et voilà que, comme chacun s'y attendait, l'hiver est revenu de plus belle. Nous avons adopté à nouveau la stratégie de l'oignon aux multiples couches, et nous sommes résignés à reprendre une vie de yéti pour encore quelques temps. La petite pause printanière était toujours bonne à prendre.

Mais chaque matin, depuis une dizaine de jours, j'ai droit à ce spectacle surprenant et très réjouissant dans la jardinière posée sur le rebord de la fenêtre de ma cuisine :



Ma ciboulette repousse ! Et je dirais même plus : elle a un bon mois d'avance par rapport à l'an dernier. Si ça ce n'est pas la preuve irréfutable que l'hiver vit ses tous derniers moments ! Je la couve du regard chaque matin, la bichonne, et m'assure qu'elle résiste aux fortes gelées nocturnes. Mais elle en veut, cette vaillante ciboulette. Rien ne semble l'arrêter, pas même la terre complètement gelée et dure comme du béton dans la jardinière dont elle émerge.

Alors pousse hardiment, ô ciboulette sans peur et sans reproche. L'hiver aux abois refuse de l'admettre, mais il est condamné, il a perdu la bataille, il se meurt, et toi tu nous annonces courageusement le retour prochain du printemps et de la belle saison !

mardi 15 février 2011

Big Brozzer in Dschermany

Tiens, je racontais l'autre jour mon escapade au ski, tout en bas au sud de l'Allemagne, et une toute petite anecdote gentillette m'est revenu à la mémoire. Dans le billet en question, j'ai brièvement parlé de mes compagnons de voyage comme mes "collègues Erasmus professionnels de Berlin", eh bien il s'est trouvé que ce joli mélange de nationalités et de cultures nous a procuré un petit moment d'angoisse sur les routes allemandes.

Quatre heures après notre départ de la capitale, et après autant de temps de trajet à tombeau entr'ouvert sur l'Autobahn, cap plein sud-ouest, nous arrivâmes en Bavière, patrie de Sissi, de Joseph "Benedikt" Ratzinger, de Bertholt Brecht et beaucoup d'autres. La Bavière, c'est 20% de l'Allemagne réunifiée, et l'antithèse de Berlin : l'opulence bourgeoise contre la précarité urbaine, les traditions rurales conservatrices contre l'avant-garde culturelle paupérisée, les puissants industriels contre les dilettantes intellectuels, les montagnes alpines contre les mornes plaines brandebourgeoises, les Lederhosen contre les jeans moulants de chez American Apparel, les valeurs familiales catholiques contre la décadence permissive du Berghain et du KitKatClub.

La frontière germano-autrichienne au domaine de Steinplatte
Notre puissant véhicule, une Mégane, si mes souvenirs sont bons, avait grand besoin de ravitaillement après cette longue traversée des chaussées givrées de la moitié nord du pays, et nous aussi avions besoin de refaire le plein de Pringles avant la non moins longue traversée de la Bavière, du nord au sud, qui nous attendait. Nous nous arrêtâmes donc à une station-service, nous dégourdîmes les jambes, nous acquittâmes du scandaleux tarif de 0,70€ pour avoir le droit d'utiliser les toilettes, et décidâmes de ne pas nous éterniser en ce lieu sinistre afin d'arriver au plus vite à notre destination alpine. Las ! Nous eûmes à peine le temps de parcourir quelques dizaines de mètres à la recherche de la sortie, et tombâmes en arrêt devant une voiture de police. Une fliquette bavaroise, qui semblait insensible au froid, fit un signe autoritaire du bras (inspiré de Nuremberg tout proche, serait-on tenté d'insinuer, mais restons au-dessus de ce genre de persiflages gratuits) et nous intima l'ordre de stationner immédiatement. Nous obtempérâmes docilement. La fliquette arriva à la hauteur du conducteur, qui se vit contraint d'abaisser sa vitre et de laisser entrer une brise polaire et des injonctions données sur un ton tout aussi glacial :

"Guten Abend, bitte Ihren Führerschein, die Ausweise und die Papiere des Autos." Pham, au volant, et qui parle trois mots d'allemand bien tassés (si on compte Bier, et son pluriel Biere comme deux mots distincts), devina la nature de la requête et présenta illico sa carte d'identité française, son permis de conduire canadien et les papiers du véhicule loué en Allemagne. Pour couronner le tout, il est né au Vietnam. Premier froncement de sourcils de la fliquette, qui sentit qu'elle avait affaire à de bons clients : "Pleess, giff me your ID, all off you", dans un anglais qui rappelait étrangement les intonations des méchants dans les films sur la dernière guerre. Les choses se corsaient. Froissements de doudounes et d'écharpes, cliquetis de boutons, dézippements de fermetures éclair, soupirs d'agacement. Enfin, nous lui présentâmes nos papiers : une autre carte d'identité française (dont le propriétaire est martiniquais), une carte d'identité espagnole, et un permis de conduire américain. Son propriétaire, Steven, est né à Hong-Kong de parents chinois, ce qui alourdissait notre dossier déjà gratiné. Dans tout ce ramassis de suspects, un seul individu parlait à peu près l'allemand, votre serviteur.

Fliquette : Where do you liff?
Nous : In Berlin.
Fliquette : All off you?
Nous : Yes.
Fliquette, [à Steven] : It's not gut wiz ze drifing licence. You're not from Europe. Do you haff your passport?
Steven : No, sorry, I left it at home, in Berlin.
Fliquette : Not gut. Do you wörk in Dschörmany?
Steven : Yes, we all work together in Berlin.
Fliquette : Ach so. Yes, you wörk togezzer, or?
Nous tous [acquiesçant avec conviction, espérant l'attendrir] : Yes, yes! In Berlin!
Fliquette [à Steven] : So you haff a wörk pörmit?
Steven : Yes, but I left that at home too, sorry.
Fliquette : Not gut at all. No passport, no wörk pörmit, no Aufenthaltsbescheinigung?
Steven : No, it's all at home. I didn't think I should take that with me today.

Sur ce, elle nous quitte et va rejoindre son collègue resté dans la voiture de police, non sans avoir laissé échapper un soupir lourd de sous-entendus et nous avoir adressé un regard qui semblait vouloir dire : "Vous êtes faits mes loulous, vous pouvez faire une croix sur votre petit weekend au ski, ou du moins vous allez d'abord nous accompagner au commissariat de Nuremberg pour raconter vos histoires". Nous observons anxieusement les policiers : dans leur véhicule, ils passent nos papiers sous toutes sortes de lecteurs optiques, scanners et autres bijoux technologiques portatifs qui illuminent leurs visages de faisceaux stroboscopiques verts et bleus. Ils ont les moyens de faire parler nos pièces d'identité et sont en mesure de leur tirer les vers de leurs nez plastifiés. Le collègue de la Fliquette revient vers nous.

Flicouille : Hello, ze US drifing lizenz does not wörk. What is your name? Steven Wong, or? Ze spelling is gut?
Steven : Yes, that's correctly spelled.
Flicouille : Ze system cannot findt you. Zere is a problem... I don't haff a glue how to check your idendidy.

Il nous adresse un sourire inquiet et attend qu'on se décide à avouer, implorants : "Oui, monsieur l'agent, nous sommes des clandestins de la mafia asiato-hispano-martiniquaise, et nos papiers ne sont pas en règle ! Allez-y, coffrez-nous !" Bref, nous commençons à flipper pour de bon dans la voiture, et Flicouille s'impatiente...

Steven [ayant un éclair de génie] : Oh yeah! Well I have a US driving licence, but I'm Canadian! You have to look into the Canadian data maybe?
Flicouille : You're a Canadian, echt? Wizz a US drifing lizenz? Ach, you people are fery konfusing!


Sur ce, Flicouille repart, clopin-clopant, vers son véhicule de police suréquipé en technologie dernier cri. Les scanners scannent, les buzzers buzzent, les machines à transmission de données bourdonnent, crépitent, s'excitent. Bingo ! Flicouille revient vers nous, guilleret : "Tout est en ortre, on a retroufé toutes fos données. Voilà fos papiers, fos permis de contuire, et la carte crise du féhicule. Zoyez prutents sur la route !" Et s'en retourne retrouver Fliquette dans leur voiture de James Bond.

Nous ne demandons pas notre reste et repartons vers la montagne, le moteur de notre Mégane vrombissant gaiement sur l'Autobahn, dont le parcours était déjà de plus en plus vallonné. Plus de policiers, plus de soirée au commissariat à Nuremberg, rien que la liberté, la neige, et devant nous, les montagnes et le ski.


Tout de même, c'est assez fou qu'ils aient pu retrouver si vite toutes les données relatives à quatre personnes de pays différents, à partir de papiers incomplets. Il y a quelque part dans le monde des super-ordinateurs qui savent tout, absolument tout sur nous, si on leur donne un simple permis de conduire. Depuis, je ne mets que des chaussettes propres le matin, au cas où... Quant on pense que les Allemands ont fait tout un fromage (ou plutôt, toute une choucroute ?) contre Google Street View, c'en est confondant de naïveté !

lundi 14 février 2011

Klotür & Kunst 1 : Z-Bar

Les lecteurs attentifs n'auront pas manqué d'observer qu'il y a, aux Chroniques Berliniquaises, quelques séries discrètes, consacrées à des thèmes spécifiques, comme par exemple les expériences insolites dans la série "On a testé", ou encore les interviews de personnalités mortes, sur des sujets d'actualité, dans la série "Allô ...?", qui d'ailleurs en est restée à son tout premier épisode pour l'instant, les célébrités décédées étant tout de même bien plus difficiles à contacter que ce que j'avais escompté.

"Z-Bar", Bergstraße 2, à Berlin-Mitte
"Damenklo"
J'ai décidé d'agrémenter ce blog d'une nouvelle petite série dédiée à une forme d'expression graphique particulièrement répandue à Berlin : l'art des Klotür. Avis aux lecteurs non germanophones : ceci n'a absolument rien à voir avec nos bonnes vieilles clôtures bien de chez nous, que l'on entende par là des barrières délimitant un parc ou un terrain, ou alors l'arrêté des comptes d'une entreprise en fin de mois, de trimestre ou d'année par Ginette et Josiane de la compta. Klotür, c'est un faux-ami aussi pervers que Pute, qui veut dire "dinde" en langue allemande, ou VoKü, qui, comme je vous le disais tout récemment, n'est pour les Allemands que l'abréviation toute bête du mot Volksküche, par laquelle ils désignent soit la bonne vieille soupe populaire pour les déshérités, soit les repas de quartier ouverts à tous, mijotés avec amour et servis avec ferveur révolutionnaire dans les communautés anarchistes, alors qu'en français, le terme évoque un accessoire de mode en vogue chez les bourgeoises élégantes de la Belle Époque, qui a fini par désigner, par métonymie, les traîtres et les hypocrites. En effet, on imagine sans mal la déception et le dépit chez ces messieurs, lorsqu'ils déshabillaient ces dames et se rendaient compte, horrifiés, que le beau galbe du postérieur de leur conquête était le résultat d'une tricherie vestimentaire tapie sournoisement sous leurs jupons à froufrous et qu'ils s'étaient encore fait eus par de fourbes femelles à la chair flasque. Klotür, c'est un félon du même acabit : lorsqu'un Français parle clôtures, et ce le plus sérieusement du monde, car c'est un sujet avec lequel on ne badine pas, son interlocuteur allemand l'observe avec un oeil narquois et pouffe de rire, car pour lui Klotür désigne la porte des toilettes (Klo = "toilettes", voire plutôt "chiottes", et Tür, "la porte").

"Z-Bar", Berlin-Mitte : "Herrenklo"
On dirait une image de film
Une série sur les portes des toilettes ? Ce blog est vraiment tombé dans le caniveau, direz-vous d'un air sceptique, pour ne pas dire carrément septique. Pourtant, les Berlinois d'un jour ou de toujours l'auront sûrement remarqué : la décoration des bars de cette capitale hédoniste est toujours soignée jusque dans les plus petits détails, pour leur donner une atmosphère unique. Aussi les banales silhouettes de bonhomme et de femme, connues dans le monde entier pour signaler les toilettes, sont-elles bannies du petit coin et remplacées par n'importe quoi, pourvu que cela soit "créatif" et "original". J'ai attrapé un étrange virus qui commande mon cerveau et m'oblige à photographier les portes de toilettes intéressantes, et il était temps de dévoiler cette étrange collection, petit bout par petit bout. Je n'avais pas prévu d'inaugurer la série par le Z-Bar, sur la Bergstraße, à Mitte, mais il faut parfois faire des compromis. Le Z-Bar nous réconcilie avec le sigle KKK, qui ne veut dire ni Ku Klux Klan, ni le sinistre Kinder, Küche, Kirche qui assignait à la femme prussienne, puis allemande, sa place "naturelle" dans la société, en particulier sous les nazis, mais ici "Kunst, Kultur, Kino" (art, culture, ciné) : on se sent tout de suite mieux. Sur la Klotür, rien de particulièrement remarquable : chez les femmes, une rose, et chez les hommes, une photo qui semble tirée d'un film indéfini, où l'on voit un inconnu de dos utilisant un urinoir. J'ai vu bien mieux, mais ce sera pour les prochains épisodes de la série, dans quelques semaines.

Le Z-Bar vu depuis la rue. L'enseigne "Kino" que l'on voit n'est pas un reflet dans la vitrine : il y a bien un petit ciné à l'intérieur.

Le Z-Bar est l'un de ces lieux magiques qui nous font vraiment aimer Berlin. Dans l'arrière-salle de ce tout petit bar niché dans une rue léthargique de Mitte, des films de série B des années 1940 à 1970 sont projetés chaque dimanche, dans le cadre de leurs soirées "Zinema", et des événements culturels divers sont organisés les autres soirs de la semaine. Ce samedi, en marge de la Berlinale, un documentaire espagnol de 30 minutes, intitulé El tiempo suspendido, ou en anglais Time Stood Still, était projeté trois fois d'affilée, en version originale bulgare, et sous-titrée en anglais la première fois, puis en allemand pour la deuxième projection, et enfin avec des sous-titres en espagnol pour la troisième et dernière séance. La réalisatrice, María José "Jo" Graell, Espagnole originaire de Valence (donc une "Valencienne" ?), est tombée amoureuse du cinéma "Odeon" de Sofia en Bulgarie, et a décidé de lui consacrer un documentaire.


Il faut dire que le vénérable "Odeon" de Sofia n'est pas  pas un cinéma comme les autres, ni même un vieux cinéma d'art et d'essai comme les autres. Il ne se distingue pas des autres par son histoire, qui n'a rien d'extraordinaire : ayant ouvert en février 1961, il y a exactement 50 ans, il a sporadiquement fermé puis réouvert ses portes sous des noms différents mais a fini par s'établir comme un des cinémas emblématiques de la capitale bulgare. D'après le documentaire, et si j'ai bien compris les sous-titres, ce qui fait l'originalité de l'Odeon, c'est son impressionnante collection de plus de 15.000 films des décennies précédentes ("la plus importante des Balkans", nous assure-t-on avec fierté), qu'il projette toujours en version originale, et jamais, au grand jamais avec des sous-titres, le Ciel nous en garde, mais avec un interprète qui traduit tous les dialogues en live, micro à la main, à mesure que la bobine se déroule. C'est bien cela : le public suit le film en écoutant les dialogues originaux, et par-dessus, la voix du traducteur-interprète. Il semble que ce soit une tradition cinématographique bien ancrée dans les habitudes bulgares, vu le nombre d'intervenants enthousiastes, tout au long du documentaire, qui expliquaient que les sous-titres, c'est trop nul, et que rien ne vaut la traduction simultanée par un professionnel qui y met un peu plus de vie. En tout cas, c'est une manière comme une autre d'apprécier le cinéma, c'est sûr.

Nelly Superstar
L'un des piliers du cinéma Odeon de Sofia, c'est Nelly Chervenusheva, qui depuis plus de quarante ans, traduit tous les films italiens qui y sont projetés. Cette sacrée Nelly : à près de 80 ans, elle ne compte pas s'arrêter. Il paraît que le public sofiovite, avant d'acheter sa place, s'assure que ce sera bien Nelly qui traduira les dialogues. Et qu'on ne s'avise pas de répondre par la négative, sinon ils ne sont pas intéressés. Il paraît qu'elle ne s'arrête jamais, mais alors jamais de parler, même lorsqu'il n'y a pas de dialogue : elle meuble les "silences" prévus par le réalisateur en racontant les anecdotes qui lui passent par la tête, et l'audience adore. Dans d'autres pays, on appellerait ça radoter. Il paraît qu'un jour, alors qu'elle faisait un infarctus, elle a continué à traduire et n'est allée à l'hôpital qu'à la fin de la séance, comme il se doit ("le public m'a sauvé la vie !"). Il paraît qu'une autre fois, elle est morte, mais est ressuscitée le lendemain, juste avant la projection de La Dolce Vita, Dieu ne pouvant se résoudre à priver Sofia de sa Nelly adorée. Déjà que les pauvres habitants ont la malchance d'être bulgares, leur enlever Nelly serait faire preuve de trop de cruauté à leur égard... La séquence émotion du documentaire : Nelly, fanatique de Fellini, incollable sur Pasolini, n'a jamais mis les pieds en Italie ! Sous les yeux émus du public, elle réalise enfin le rêve de toute sa vie, à l'invitation d'une méga-star mondiale du cinéma bulgare dont nous avons tous déjà oublié le nom. Elle était sacrément heureuse, mamie Nelly, et nous étions bien contents pour elle.

La salle de projection du Z-Bar
Et voilà, c'en était fini d'El tiempo suspendido. Une bien chouette histoire avec une bonne dose d'excentricité et de personnages hauts en couleur. Si j'ai l'occasion de retourner dans les Balkans et de découvrir la Bulgarie, l'Odeon figurera en bonne place dans ma liste des choses à voir, en espérant que Nelly assurera encore la traduction, ou disons plutôt, le sur-bruitage des films de Fellini.

En attendant d'avoir cette chance, il nous reste les films de série B du Z-Bar pour patienter. Au programme ce mois de février : Les Lutteuses contre le Docteur de la Mort, film culte mexicain de 1963, Purple Death from Outer Space, de 1966, ou encore, The Brain that Wouldn't Die, un  thriller indispensable de 1962. Presque de quoi nous donner envie de faire l'impasse sur la Berlinale !

La projection d'El tiempo suspendido était aussi l'occasion de se régaler de spécialités bulgares et de vins des Balkans à l'œil. Je ne suis malheureusement pas encore en mesure de dire si c'était exceptionnel ou si les projections s'accompagnent en général de dégustations. On verra bien lors des prochains événements.

Jo Graell, au centre, pose avec ses amies: Gloria la Sud-Africaine à droite, et une Allemande dont j'ai oublié le nom, à gauche

Le programme des soirées "Zinema" à venir au Z-Bar : du gros lourd en perspective !

vendredi 11 février 2011

Mapplethorpe dans ta face

Robert Mapplethorpe, 1983
Mon 69ème billet de ce blog (en comptant les brouillons, qui probablement le resteront) est consacré à l'expo Robert Mapplethorpe : quelle curieuse coïncidence. Cela est d'autant plus troublant que ladite expo est présentée à la fameuse galerie C/O, sur Oranienburger Straße, qui sera expropriée (ou peut-être pas) dans moins de 6 semaines de ses prestigieux locaux de l'ancienne Poste centrale pour faire place à un hôtel de luxe. Apparemment il resterait donc une lueur d'espoir de ce côté-là, j'ose à peine y croire... Mais à propos de 69ème post je me faisais, en rentrant, la réflexion suivante : il y a bien des petites gens qui ne verraient probablement pas d'un mauvais œil la tragique disparition de C/O et l'inauguration d'un nouvel aimant à millionnaires bling-bling et vulgaires à son emplacement, j'ai nommé les p'tites Fräulein d'Oranienburger Straße et de Monbijoupark. En effet, l'embourgeoisement effréné de cette artère centrale de Berlin-Mitte aura, à coup sûr, des répercussions majeures sur le prix de la transaction, qui se chiffrait, en octobre 2009, à 80€ l'Oralverkehr et 350€ pour un moment d'intimité totale, selon une enquête menée par votre serviteur et quelques amis passablement éméchés. L'inflation galopante, au lieu de se cantonner aux loyers des appartements des riverains pris à la gorge, gagnerait assurément les trottoirs aguicheurs du quartier, illustrant à merveille, une fois n'est pas coutume, la théorie économique controversée appelée effet de "ruissellement", au sens propre tout comme au figuré d'ailleurs. Mais tout ceci n'est que conjectures.

Le Postfuhramt, futur hôtel de luxe
Bref, hasard du 69 ou pas, la galerie C/O tire sa révérence en beauté, dans un dernier baroud provocateur, et expose Robert Mapplethorpe jusqu'à sa fermeture définitive, le 27 mars prochain. D'emblée, la longue introduction, captivante et indispensable, pose les termes du sujet : "dans les années 1970", le profane se voit-il doctement informé, "le consensus autour de la nudité s'est lézardé, et celle-ci ne se définit plus simplement en fonction de l'absence de vêtements". Vous m'en direz tant. L'œuvre de Mapplethorpe est comparée sans ambages à Olympia, ce tableau d'Édouard Manet qui a fait scandale dans la bonne société parisienne sous Napoléon III. Les conservateurs de l'exposition trouvent au photographe new-yorkais et à son illustre aîné français un point commun fondamental : celui d'avoir obligé leurs contemporains à redéfinir leur vision de la nudité. Ça commence fort. Et je dirais même plus : Mapplethorpe ne s'est pas contenté de mettre le nu et le sexe au centre de son œuvre, il a aussi mis son œuvre au centre de sexe et du nu. Vous me suivez ? 



Patti Smith
Robert Mapplethorpe était un photographe d'une remarquable constance. Son œuvre se décline en quatre thèmes : le nu, le sexe, le sexe nu, et le reste. Pardon, je persifle. Je voulais dire : les autoportraits, les portraits, les nus et les... fleurs. Le tout en noir et blanc, exclusivement. La galerie des portraits de Mapplethorpe est impressionnante, et est essentiellement constituée de célébrités.

Ayant étudié les beaux-arts à New-York dans les années 1960, il a eu l'occasion de côtoyer dès sa jeunesse un cortège de futurs stars. Son premier amour n'était autre que Patti Smith, qui est restée son amie et sa muse (d'autres disent plutôt : son amuse et sa mie, il y a deux écoles) bien après leur rupture. Toute une salle est consacrée aux portraits de Patti Smith, Patti Smith songeuse, Patti Smith boudeuse, Patti Smith et le chat, Patti Smith et le papillon... Elle aurait dit : "j'étais le principal sujet de ses photos, avant lui-même". Et toc. La collection de portraits ne s'arrête toutefois pas là : plusieurs salles leurs sont consacrés, et parmi les nombreuses célébrités on reconnaît un Andy Warhol auréolé, une Isabella Rossellini pensive, une Grace Jones tribale, une Louise Bourgeois narquoise ou encore un Kiefer Sutherland grognon.


Grace Jones, 1983
Mapplethorpe travesti

Un rien narcissique, Mapplethorpe s'est photographié lui-même, dans toutes les tenues, sous toutes les coutures, mais toujours en noir et blanc, bien entendu. Avec son Polaroid ou son Hasselblad, net ou flou, nu ou en loubard des mauvais quartiers façon années 80, en smoking ou en tenue sado-maso, en travesti ou en diable avec des cornes postiches, jeune et plein de vie ou en zombie blafard, rongé par le virus du sida qui a fini par l'emporter, à 43 ans. Après la fin de sa relation avec Patti Smith, Mapplethorpe a décidé d'assumer son homosexualité, dans sa vie comme dans son art, et n'a pas fait les choses à moitié, c'est le moins que l'on puisse dire.


Mapplethorpe et sa canne au crâne, un an avant sa mort (1988)
Mapplethorpe à 29 ans, 1975

Les natures-mortes constituent une part importante de l'art de Mapplethorpe. Il affectionnait tout particulièrement les tulipes, les anthuriums et les variétés de Canna. Toute une salle est consacrée à ces travaux. D'une photo à l'autre, les fleurs, "vivantes" mais étonnamment froides, s'observent, se parlent, se répondent.
"Deux Tulipes"
À gauche, les fleurs, à droite, le sexe : quelle porte choisissez-vous ?

Mais Mapplethorpe ne serait pas Mapplethorpe sans le nu et les photos qui choquent. On nous a vendu un Manet moderne après tout. Les sujets de ses photos de nu sont surtout des hommes, et en particulier lui-même, mais aussi tout de même un modèle féminin, une certaine Lisa Lyon, culturiste (apparemment à cette époque les femmes bodybuildeuses ressemblaient encore à des femmes) dont le visage n'est jamais montré dans l'exposition. Peut-être n'avait-elle pas un assez joli minois. On n'en saura pas plus.



La féminité de Lisa Lyon
Ces corps musclés, principalement masculins, et présentés dans des positions sculpturales, sont l'une des signatures de l'artiste. D'ailleurs, sur la fin, Robert Mapplethorpe s'est tout simplement mis à photographier des statues, cela simplifie les choses.



Et puis il y a les photos érotiques, ou pornographiques. Je dirais pornographiques. Elles sont très crues et ont énormément choqué ses contemporains par leur contenu. Je ne montrerai pas ces œuvres sur mon blog, car je n'ai pas envie de lui faire courir le risque d'être censuré par les logiciels de contrôle parental. Si vous êtes intéressés, cherchez "Dennis Speight" (un de ses modèles) sur Google, ou tout simplement "Mapplethorpe", et vous trouverez tout ce qu'il vous faut : des hommes en latex ou pas, dans toutes sortes de positions. Il affectionnait tant les modèles noirs, à une époque où c'était encore peu courant, que ceux qui n'étaient pas choqués par le caractère franchement pornographique de son œuvre l'ont accusé de blaxploitation. C'est dire qu'il ne s'est pas fait que des amis, notre vaillant photographe.


Titre d'une des photos. Il y avait aussi une intitulée "Cock and Gun",
et tout de même un grand nombre de "Cock" dans l'ensemble.

En bref, oui son œuvre avait largement de quoi choquer, aussi bien aux États-Unis qu'en Europe. L'expo berlinoise rencontre pourtant un grand succès et l'on voit dans les couloirs de la galerie C/O des familles  qui déambulent tranquillement avec leurs jeunes enfants au milieu de toute cette débauche. Ah, que c'est beau l'éducation moderne. De mon temps, il en allait autrement !


Au fait, pour mémoire, voici les deux célèbres tableaux de Manet qui ont fait scandale, cent ans avant Mapplethorpe :


Olympia
Le déjeuner sur l'herbe
Comme le faisait remarquer le texte d'introduction à l'exposition, ces tableaux qui ont tant choqué les Parisiens comme il faut en 1862 sont devenus des classiques quelques décennies plus tard à peine. Alors, Mapplethorpe sera-t-il le Doisneau des années 2030 ? Et quel sera l'artiste non conformiste de génie, le "Robouard Manetpplethorpe" des années 2070, qui s'attirera la fureur et la réprobation de ses contemporains ? Quelqu'un qui montrera des gens habillés ? Parce que vraiment, à mon humble avis de quidam pas du tout expert en la matière, il ne reste plus beaucoup de choses nouvelles à montrer en matière de nudité.  


Isabella Rossellini
Kiefer Sutherland
Andy Warhol
L'expo Robert Mapplethorpe dure jusqu'au 27 mars à la galerie C/O Berlin.
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